Sahel : une coopération entre le Niger et le Nigeria serait la bienvenue

Rinaldo Depagne est directeur de l'International Crisis Group (ICG) pour l'Afrique de l'Ouest. L'ICG publie un rapport sur l’escalade des violences dans le Nord-Ouest du Nigeria où les groupes jihadistes étendent leur influence. Cette région pourrait devenir un « pont » entre les mouvements implantés au Sahel et près du lac Tchad.

RFI : Qu’observez-vous dans la région du nord-ouest du Nigeria ?

Rinaldo Depagne : Nous observons un conflit meurtrier qui implique de très nombreuses organisations armées, des groupes qui sont alliés à des éleveurs, des comités de vigilance, des bandes criminelles qui ensanglantent cette région depuis une décennie, et qui ont à ce jour fait plus de 8 000 morts et 200 000 déplacés internes. Pour l’instant, c’est une crise qui vraiment oppose, comme dans d’ailleurs dans beaucoup de régions de l’Afrique de l’Ouest, les éleveurs et les fermiers dans le cadre d’une compétition de plus en plus brutale pour l’accès aux ressources. Et elle a été caractérisée ces derniers temps par une hausse phénoménale de la criminalité organisée qui comprend du vol de bétail, des enlèvements contre des rançons, des raids de village, des braquages routiers. Et le dernier développement de cette crise est l’arrivée sur ce terrain de groupes jihadistes en particulier venant du nord-est du Nigeria, là où les groupes liés à Boko Haram sont les plus actifs.

Comment procèdent ces groupes jihadistes pour étendre leur influence ?

Ce sont des groupes qui tentent toujours d’exploiter les désordres et d’en profiter. Ils se présentent par exemple comme des forces protectrices de certaines communautés ou qui font des affaires. Je viens de citer, et ça c’est assez établi, on a eu plusieurs informations de la part d’autorités nigérianes qui font état de vente d’armement par ces groupes à des bandes criminelles. Il faut savoir que l’Iswap [État islamique en Afrique de l'Ouest], qui est une branche de Boko Haram, a pendant un certain temps connu des succès militaires qui lui ont permis de mettre la main sur des stocks d’armes appartenant à l’armée nigériane, et qu’ils avaient très certainement des surplus d’armes qu’ils ont revendus à ces groupes armés qui ont besoin d’armes légères qui sont des armes de guerre, des fusils d’assaut, les munitions qui vont avec, éventuellement des lance-roquettes. Il faut aussi savoir que le Nigeria est un pays où il y a une circulation des armes légères absolument immense. L’ONU, je crois, comptabilise 350 millions d’armes légères en circulation dans ce pays.

Vous écrivez dans votre rapport que cette région du nord-ouest du Nigeria pourrait devenir un « pont » entre les groupes implantés au Sahel et la région du lac Tchad…

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En tout cas, il y a plusieurs informations sur une circulation due à l’état de désordre dans cette région de militants de Boko Haram, de militants de l’Iswap plus précisément, qui organisent des contacts avec des membres de l’Etat islamique au Grand Sahara par exemple. Donc, il y a un point de circulation. Le nord-ouest du Nigeria est frontalier du Niger, partage une très longue frontière avec le Niger. Donc, on sait qu’au Niger, à la frontière du Niger et du Mali, il y a des membres de l’Etat islamique au Grand Sahara qui sont actifs. Donc, il y a peut-être une tentative d’établissement d’une passerelle. Ce n’est pas encore totalement effectif.

Et quelles seraient les conséquences ?

Une des conséquences, ça serait très vraisemblablement la facilité que ces groupes auraient à faire circuler des armes et du savoir-faire, des formateurs par exemple entre les deux régions, c’est-à-dire entre la région Sahel et le nord-ouest du Nigeria, et plus largement le nord-ouest du Nigeria et le bassin du lac Tchad. Donc, cela constituerait une sorte de front maintenant uni de ces groupes. Et d’ailleurs, dans ses publications, l’État islamique tend maintenant à présenter les deux mouvements qui étaient avant séparés, d’Iswap qui est actif dans le bassin du lac Tchad et l’État islamique au Grand Sahara, comme un seul et même groupe. Et cela, c’est peut-être aussi un désir plus qu’une réalité actuellement. Mais en  tout cas, le désir est là.

Qu’est-ce qui pourrait faire barrage à cette avancée ?

Très certainement, la mise en place par les autorités d’un plan qui a été établi en septembre 2019 qui est un plan national pour la transformation du secteur pastoral, et dans le cadre de ce plan, un dialogue beaucoup plus soutenu entre les communautés d’éleveurs et de fermiers pour faire baisser la tension entre ces deux mondes. Donc ça, ça serait important. Et la deuxième chose, c’est la communication, l’échange de renseignements entre le Nigeria et ses voisins, et en particulier le Niger qui souffre aussi de cette situation, puisque maintenant il y a 60 000 réfugiés qui se trouvent au Niger voisin, en particulier autour des villes de Maradi et de Tahoua. Et donc une collaboration beaucoup plus effective entre le Niger francophone et le grand Nigeria anglophone serait la bienvenue pour éviter que ces camps de réfugiés d’abord ne grossissent, ne déstabilisent à leur tour certaines régions du Niger et ne servent aussi de base à certains groupes violents.

RFI

lun, 01/06/2020 - 10:10

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