Mobilisation française pour le Sahel: priorité à la lutte contre la pauvreté

Avant son voyage à l'ONU, Action contre la Faim, Oxfam France et le CCFD-Terre Solidaire alertent le Président Macron sur la tentation « de faire du développement un alibi des politiques sécuritaires et de contrôle des migrations », notamment au Sahel, région au monde où la faim a le plus augmenté en 2017.

« Ne pas écouter ceux qui nous appellent à l’aide, c’est croire que les murs et les frontières nous protègent. » Ainsi parlait, il y a tout juste un an à la tribune des Nations Unies, le Président Emmanuel Macron qui est vu aujourd’hui, par beaucoup, comme le dernier rempart du multilatéralisme face aux attaques des populistes de tous bords. Alors que le Président s’envole de nouveau vers New-York la semaine prochaine pour participer à sa seconde Assemblée générale de l’ONU, nos organisations alertent sur la dérive de la politique étrangère française, qui vise à conjuguer avec le développement, les enjeux sécuritaires et de migrations.

A la fin de l’été, le Président définissait les grandes priorités de la diplomatie française pour les mois et années à venir devant les ambassadeurs français réunis à Paris. Le modèle diplomatique du Président français, se focalise sur « les 3D » pour diplomatie, développement et défense. Une région concentre à elle seule une grande partie des ambitions françaises pour la mise en œuvre de ce modèle : le Sahel, et plus particulièrement le Burkina-Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad.

Le Sahel présente des enjeux diplomatiques et stratégiques, entre Maghreb et Afrique sub-saharienne, et sécuritaires, avec la lutte contre les groupes armés au Mali ou au Tchad, dans laquelle la France est partie prenante à travers l’opération Barkhane et son soutien au G5 Sahel.

Pour nos organisations présentes sur le terrain aux côtés des organisations de la société civile locale, le Sahel présente surtout des défis majeurs en termes de développement et d’aide humanitaire.

Le Sahel est traversé depuis une décennie par des crises alimentaires récurrentes, et selon le dernier rapport de la FAO, c’est la région au monde où la faim a le plus augmenté en 2017, avec près de 10 millions de personnes supplémentaires en insécurité alimentaire, une situation qui s’est encore dégradée cet été. Le changement climatique constitue un défi d’avenir mais aussi bel et bien une menace actuelle pour les populations locales. Faibles précipitations, pénuries d’eau et de pâturages, cet été, six millions de personnes avaient besoin d’aide alimentaire, avec un risque significatif de malnutrition aigüe pour 1,6 million d’enfants. Quelle a été la réponse du gouvernement français face à cette crise qui a suscité peu d’intérêt politique ?

Nos organisations questionnent cette approche des « 3D » qui risque de faire du développement un alibi des politiques sécuritaires et de contrôle des migrations. La priorité donnée à ces enjeux a des conséquences fortes sur les populations tant sur le respect de leurs droits que sur leurs moyens d’existence. Par exemple, les mesures prises dans le cadre de la lutte contre Boko Haram ont eu des conséquences dramatiques: l’accès restreint aux marchés locaux, aux zones de pêche, aux terres agricoles productives ont provoqué l’effondrement des revenus des ménages et une déstabilisation du commerce transfrontalier entre le Niger et le Nigeria.

Pour une approche réaliste du développement au Sahel et tenant compte des besoins des populations, il faut nécessairement mettre l’accent sur Démocratie, Droits Humains, Défis environnementaux et sociaux et Désendettement. Cela passe par la promotion d’espaces d’expression, de consultation et de participation des sociétés civiles locales et nécessite de s’attaquer aux causes structurelles des inégalités pour prévenir de futures crises.

En outre, les pays sahéliens sont déjà confrontés à un surendettement qui grève leurs capacités à investir dans les services essentiels et le développement de leurs économies. Ainsi les financements de l’Aide Publique au Développement additionnels nécessaires au Sahel doivent être fournis exclusivement sous forme de dons.

Emmanuel Macron doit résolument définir des actions durables pour sa politique étrangère au Sahel en répondant aux enjeux du développement et à la promotion des droits humains.  

C’est au regard des actes concrets de la France dans ces différents domaines au cours des prochains mois, au-delà des discours qui seront prononcés à New-York ou ailleurs, que nous jugerons la sincérité et le niveau d’ambition de la France pour contribuer à lutter efficacement contre la pauvreté, les inégalités et la faim au Sahel.

Signataires :

Véronique Andrieux, Directrice générale d’Action contre la Faim
Cécile Duflot, Directrice générale d’Oxfam France
Benoit Faucheux, Délégué général du CCFD-Terre Solidaire

/blogs.mediapart.fr

ven, 21/09/2018 - 17:24

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