SOUDAN DU SUD : Marier des filles contre des vaches 

"Nos filles constituent notre seule source de richesse. De quel autre endroit voulez-vous que je reçoive des vaches?", demande Jacob Deng, 60 ans, originaire de l'Etat de Jonglei, au Soudan du Sud. 

La mentalité de Deng est très répandue ici puisque la pratique du mariage des enfants est toujours défendue dans beaucoup de communautés du Soudan du Sud, où les filles sont considérées comme une source de richesse grâce à la valeur de la dot que les familles paient. 

Selon le ministère des Affaires de Genre et de l'Enfance, 48 pour cent des filles sud-soudanaises âgées de 15 à 19 ans sont mariées, certaines ayant seulement 12 ans quand elles sont mariées. 

La Loi 2008 sur l'enfance au Soudan du Sud fixe l'âge minimum du mariage à 18 ans, et stipule que toute personne qui enfreint à la présente loi encourt jusqu'à sept ans d’emprisonnement. Toutefois, la ministre des Affaire de Genre et de l'Enfance, Agnes Kwaje Losuba, a admis qu'elle n'est pas appliquée. 

Le mariage des enfants fait partie des traditions de plusieurs communautés. "Dès qu'une fille atteint la puberté, elle est déjà une femme. Tant qu’il y a quelqu'un qui est disposé à payer beaucoup de vaches (pour elle), je marierai ma fille", déclare Deng à IPS. 

Biel Gatmai, 50 ans, originaire de l'Etat du Haut-Nil, indique à IPS qu'il soutient le mariage des enfants parce qu'il craint que ses filles ne tombent enceintes hors mariage - quelque chose qui est détesté par les cultures locales ici. 

"C’est mieux qu’une fille soit mariée à un jeune âge que de la garder dans la maison de ses parents et qu’elle tombe enceinte. Si son premier enfant est né hors mariage, quiconque l’épousera plus tard paiera seulement quelques vaches", explique Gatmai. 

Comme le Soudan du Sud est dans un processus de révision constitutionnelle, qui comprend l'organisation des séminaires et ateliers à travers le pays pour obtenir les opinions des citoyens sur la nouvelle constitution, la question du mariage des enfants est quelque chose qui a été souvent discuté. 

Le président Salva Kiir a nommé une Commission de révision de la constitution composée de 55 membres en 2012 pour évaluer et améliorer la constitution provisoire actuelle du pays, qui a été adoptée le 9 juillet 2011, le jour où le Soudan du Sud est devenu une nation indépendante. 

Cette commission est censée soumettre le projet d'une nouvelle constitution d’ici à décembre 2014. 

Selon les Nations Unies, les femmes et les filles au Soudan du Sud demeurent particulièrement vulnérables. Après une guerre civile avec le Soudan qui a duré 21 ans, elles ont été les victimes des pires violations de droits humains, y compris le viol et l'enlèvement. Environ deux millions de personnes ont été tuées et quatre millions déplacées avant qu'un traité de 2005 ne mette fin au conflit en divisant le Soudan en deux. 

A la mi-avril, la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud (MINUSS) a déclaré qu'elle était préoccupée par le rôle des femmes dans le pays, compte tenu de la poursuite des violences intercommunautaires qui menacent régulièrement les civils, notamment les femmes et les enfants. Au moins 1.600 personnes sont mortes en 2011 dans des combats entre les groupes ethniques Murle et Lou Nuer, selon l'ONU. 

En avril, le chef de la MINUSS, Hilde Johnson, a dit aux journalistes à Juba que l'ONU était décidée à faire appliquer les droits des femmes, des enfants et des personnes âgées qui étaient "particulièrement vulnérables et ont besoin de protection". 

Paleki Mathew Obur, directrice de l'ONG locale, 'South Sudan Women’s Empowerment Network' (Réseau pour l’autonomisation des femmes du Soudan du Sud), affirme qu'ils veulent que la question de l'âge minimum du mariage soit abordée dans la nouvelle constitution, puisqu’elle n'est pas définie dans la constitution provisoire actuelle. 

"Différentes organisations sont allées dans (divers Etats du Soudan) et ont réuni des recommandations variées pour l'âge minimum du mariage. Certaines personnes disent que cela devrait être 18 ans et d'autres affirment que 25 ans devraient être l'âge minimum", dit-elle à IPS. 

Angelina Daniel Seeka, de l'ONG locale 'End Impunity' (Mettre fin à l'impunité), indique à IPS que la cause originelle du mariage des enfants se trouve dans le droit coutumier. 

"Le mariage précoce, les violences faites aux femmes et bien d'autres choses dont souffrent les femmes à la base sont dus au droit coutumier. Nous devons donc faire quelque chose à ce sujet. J'espère que nous parviendrons à quelque chose qui peut aider les femmes à l'avenir", déclare-t-elle. 

Les activistes estiment que la nature non écrite du droit coutumier sert ici comme une occasion pour les chefs locaux - qui sont presque tous des hommes – d’interpréter la loi comme ils le veulent. 

Selon Lorna James Elia, directrice de l'organisation féminine 'Voice for Change' (La voix pour le changement), la nouvelle constitution devrait redéfinir le droit coutumier. 

"Ce que nous disons, c'est qu'il y a des domaines du droit coutumier qui sont très bons et nous pouvons les conserver. Mais les aspects qui sont très discriminatoires, qu'ils soient aimés par les femmes ou aimés par les hommes, devraient disparaître", explique-t-elle à IPS. (FIN/2013) 

 

Charlton Doki

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sam, 17/11/2018 - 14:16

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