Dans la litanie des revendications djihadistes, les attentats de Ouagadougou, qui ont entraîné la mort de vingt-neuf personnes et ont fait une trentaine de blessés, selon un bilan provisoire, dans la capitale burkinabée vendredi 15 et samedi 16 janvier, constituent une première.
L’assaut, lancé par un nombre qui reste flou de djihadistes, a été revendiqué dans une conversation téléphonique entre un membre d’Al-Andalous (la branche média d’Al-Qaida au Maghreb islamique, AQMI) et l’un des assaillants, décrit comme l’un des « chevaliers » du groupe d’Al-Mourabitoune, revenu récemment dans le giron d’AQMI.
L’échange, de trois minutes trente, a été mis en ligne avant la fin des combats. Et sa publication avait été annoncée par une série de messages sur les réseaux sociaux Twitter et Telegram peu de temps après le début de l’attaque, vendredi soir.
« Combattre la France jusqu’au dernier souffle »
L’un des membres du commando assure à ce moment à son interlocuteur avoir tué « onze personnes » sur un total de « trente victimes, à peu près », avant de « promettre de combattre la France jusqu’à son dernier souffle ». Sans oublier de prêter allégeance à Ayman Al-Zawahiri, le chef du réseau Al-Qaida.
Le site mauritanien Al-Akhbar, canal habituel des revendications des groupes djihadistes, assurait samedi que l’accent du terroriste est « hassanya » : un arabe parlé en Mauritanie, dans le nord du Mali et au Sahara occidental. Le communiqué écrit d’AQMI, diffusé dimanche, a dévoilé les photos et les noms de guerre de trois des assaillants, des jeunes hommes surnommés « Al-Battar Al-Ansari, Abu Muhammad Al-Buqali Al-Ansari et Ahmad Al-Fulani Al-Ansari ». Le terme « Al-Ansari », dans la phraséologie djihadiste, fait référence à des combattants autochtones – probablement issus de la bande sahélienne.
Autre message troublant, la branche média d’AQMI, qui a abondamment communiqué sur l’opération dans la nuit de vendredi à samedi, laisse entendre qu’un deuxième commando a été impliqué dans les attaques : « Dans un autre échange avec un second groupe, [ils] assurent qu’ils ont effectué cette opération pour venger le Prophète » – une nouvelle allusion à l’affaire des caricatures deMahomet. Une source française souligne d’ailleurs la probabilité de la présence de « deux groupes de trois », mais « sans être sûre de rien ». La gendarmerie burkinabée faisait état, lundi matin, de « quatre assaillants abattus ».
Réseaux sociaux et vidéos
Couverture en direct des attaques, utilisation de plusieurs réseaux sociaux, éléments instillant le doute sur la communication officielle du pays attaqué et communication postattentat : tout indique que la planification opérationnelle des attaques de Ouagadougou est allée de pair avec un plan média pensé en amont. Une façon de faire qui n’est pas sans rappeler les pratiques de l’organisation Etat islamique (EI), dont AQMI reprend de plus en plus ouvertement les codes, la concurrence entre les deux frères ennemis du djihadisme international débordant désormais sur Internet.
Soucieuse de ne pas laisser l’EI, qui a pris pied en Libye, attirer de nouveaux sympathisants, AQMI n’hésite plus à utiliser les recettes de ce dernier en matière de propagande.
Dans une longue vidéo diffusée au début de l’année consacrée à ses opérations au Mali et réalisée avec une maîtrise technique qu’on ne lui connaissait pas, AQMI est ainsi allée jusqu’à emprunter des nashids (chants djihadistes), popularisés par les branches médias de l’organisation d’Abou Bakr Al-Baghdadien Irak et en Syrie. Dont celui consacré aux kamikazes, placé en bande-son d’une attaque-suicide contre les casques bleus de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma).
Interrogé par Libération, le journaliste Lemine Ould Mohamed, auteur du livre Le Ben Laden du Sahara (La Martinière, 2014) consacré à Mokhtar Belmokhtar, remarquait que les combattants d’AQMI « avaient troqué [dans leurs vidéos de propagande] la djellaba de Bédouin pour le treillis et la cagoule ». Et, avec les attentats de Ouagadougou, la boîte aux lettres pour Twitter et Telegram pour diffuser leurs communiqués.
Par Madjid Zerrouky
Le Monde