Depuis 2012, le grand érudit Baba Ould Mohamed Ould Maata lutte contre une maladie qui le cloue au lit. Tout a commencé par une hypertension qui l’a conduit à se soigner au Sénégal. A cette fin, il a vendu un terrain, sis à Tevragh Zeïna, qu’une bonne volonté lui avait généreusement offert.
Mais, quelques mois après, c’est la rechute. Cette fois, les médecins diagnostiquent un accident cardio-vasculaire. Le professeur entreprendra, alors, deux voyages en Tunisie, en compagnie de son épouse. Il devait y retourner une troisième fois mais il a décidé de passer outre, préférant s’en remettre à la volonté d’Allah le Tout Puissant et Miséricordieux et attendre, en très bon musulman, miséricorde, rétablissement ou tout autre fin qui plaise au Seigneur des mondes.
Un homme résigné
C’était aux environs de treize heures passées que je retrouve, sans peine, grâce aux indications de Zeynabou Mint Maata, la petite maison où loge, depuis quelques années, Baba Ould Maata et sa famille. C’est à Toujounine, à quelques encablures du quartier administratif, au virage d’une épicerie dénommée « Ecchehid Saddam Hussein ». Impossible, pour moi, de rencontrer l’érudit qui ne se réveille que vers dix-sept heures.
Cependant, Zeynebou, sa fille aînée, et Derdidi, un de ses deux garçons, nouvellement nommé membre du Haut Conseil de la Fatwa, m’informent que leur père va mieux. Selon eux, il parvient même à se promener chaque jour, dans la cour de la petite maisonnette qu’il loue. Ecoutons Zeynabou : « Baba n’a jamais eu de maison à lui. Il a toujours loué. Ce bas-monde lui importe peu ». Zeynebou est bien la fille de son père. Très à l’aise dans le verbe. Une véritable Grande royale.
C’est elle qui gère la discussion, en se permettant toutes les présentations. « Lui, c’est mon jeune frère », dit-elle en me montrant du doigt Derdiri Ould Maata. « C’est un sortant de la mahadra, titulaire d’une maîtrise en sciences de la Charia ». Comme son père, il a commencé, très jeune, par étudier le Coran et les livres traditionnels y afférents.
Contrairement à ce que beaucoup pensent, Baba Ould Maata a d’abord commencé comme élève coranique, à Moudjeria où il est né en 1958. Son père, Mohamed Ould Maata, y était arrivé très jeune, d’Aoujeft, pour y résider définitivement.
Ce n’est qu’après avoir appris chez El Qadi Mohamed Emmanetoullah Ould Jaroullah puis El Hadrami Ould Khattri, entre autres, que Baba participa au concours des instituteurs, option arabe. Son maniement de la langue française, qu’il maîtrise parfaitement, et de l’anglaise, qui lui sert pour ses conférences sur l’islam en Afrique anglophone et aux Etats-Unis, témoigne de sa persévérance et de sa détermination à étoffer son savoir.
En réponse à feu Mohamed Salem Ould Addoud qui lui demandait, un jour, l’origine de cette vaste connaissance, il répondit que, grâce à la rectitude, Allah lui a donné le savoir.
Spécialiste international de la « Terika » (science de l’héritage) dont il serait, selon le savant Mahfoudh Ould Lemrabott, un des meilleurs connaisseurs au monde, Baba Ould Maata a écrit une quarantaine de traités islamiques dont certains traitent de sujets aussi contemporains que la problématique des bébés-éprouvettes, l’islam et le tabagisme, l’islam et les télécommunications…
Une référence
Derdiri intervient pour me montrer, fièrement, une attestation de reconnaissance et d’admiration délivrée, à son père, par la maison d’édition libanaise Dar El Vikr, à la suite d’une correction apportée à un livre longtemps enseigné dans les universités islamiques du monde intitulé « El Bahja vi Babi El Mounassekhatt ». C’est incontestable : Baba Ould Maata est, de l’avis de tous les oulémas, un de ceux qui maitrisent le plus la Science de la Terika qui constitue, selon un célèbre hadith du Prophète (PBL), la moitié du savoir islamique.
A ce titre, Baba était le spécialiste agréé par tous les tribunaux nationaux qui lui renvoyaient tous les litiges liés aux affaires d’héritage. Grâce à son éloquence, il a facilité les questions de toilettes funéraires et les complexités arithmétiques dont regorge la science du legs.
Ancien député à l’Assemblée nationale, il est également un membre éminent de l’Association des Oulémas de Mauritanie (AOM) et défenseur, infatigable, de la cause des personnes vivant avec le VIH au nom desquelles il a jalonné, dans la Caravane de l’espoir, toute l’Afrique, pour lutter contre la stigmatisation et les discriminations à leur encontre.
Grand humaniste et bienfaiteur, Baba aurait entrepris beaucoup de bonnes actions dans son Moudjeria natal et à Nouakchott. Ses fils ne veulent pas en parler, par respect à la volonté de leur père de taire sa philanthropie. Mais ceux qui sont un tant soit peu attentifs à ce qui se passe dans ce pays savent fort bien à quoi s’en tenir. Baba Ould Maata est un grand de Mauritanie qu’il honore au plus haut point.
Merci aux autorités nationales
Selon Zeynabou Mint Maata : « contrairement à ce qu’une certaine presse a écrit, l’Etat mauritanien n’a jamais laissé mon père seul. Dès le jour où les autorités ont appris sa maladie, le contact a été établi et depuis, toujours conservé. Le Président nous a immédiatement envoyé son conseiller Abdallahi Ould Ahmed Damou.
Des instructions officielles ont aussitôt été données à toutes les structures, notamment la Caisse nationale d’assistance maladie, de prendre en charge, dans les plus brefs délais, le dossier de mon père. Ce qui a été fait correctement. J’ai été, moi-même, reçue à la Présidence.
Mon frère Derdiri a été nommé au Haut Conseil de la Fatwa. Dès le premier jour de la maladie de mon père, tout le personnel du ministère des Affaires islamiques nous a rendu visite, du secrétaire général au planton. A l’époque, le ministre, Ahmed Ould Nenni, était absent du pays mais il nous a contactés par téléphone. Tout cela pour vous dire que l’Etat n’a jamais abandonné Baba ould Mata. Les deux voyages de celui-ci en Tunisie furent aux frais de celui-là.
Chaque fois, la CNAM recevait des instructions, pour réserver, à mon père, huit fauteuils dans l’avion, afin qu’il voyageât confortablement et, en Tunisie, on le traitait à la clinique Tawfiq. Pour son troisième rendez-vous, c’est lui-même qui a décidé de ne pas y aller, préférant se remettre à la volonté d’Allah ». Visiblement très émue, Zeynabou prend chaque fois à témoin son frère Derdiri, m’implorant de faire passer son message à la presse : « D’abord, jamais, avant toi, à l’exception d’un seul journaliste, la presse n’est venue se renseigner de l’état de mon père.
Tout ce que les sites et journaux écrivent est de la pure imagination. Tout comme ce que les télévisions racontent, de temps à autre. C’est l’occasion de remercier Le Calame qui a, au moins, pris la peine de venir nous demander, à nous les seuls capables de les fournir, des informations liées à la santé de notre père.
Ce que nous demandons, à la presse, est simple : avant de publier, qu’elle prenne, au moins, la peine de se renseigner. Mon téléphone et celui de mon frère sont ouverts et nous sommes disposés à parler à tout journaliste. Mais il faut bien que celui-ci vienne nous voir ». Dans le hall, les trois autres enfants de Baba Ould Mata continuent à regarder calmement la télévision.
Gentiment, Zeynabou et son frère me raccompagnent à la porte, non sans avoir insisté pour que je reste partager un repas qui sentait le tiéboudiène bien fait, d’une marmite mijotant quelque part dans la cuisine.
Et me voilà maintenant à ma table de travail, pour qu’une fois, au moins, la Mauritanie rende hommage, de façon non posthume, à l’un de ses illustres fils encore en vie. Non, je n’attendrai pas son décès pour le couvrir de louanges qui ne sont, souvent, que ceux, polies, rendues au moindre mort. Qu’Allah fasse jouir Baba Ould Mata d’une santé de fer ! Qu’il puisse continuer encore à donner de son vaste savoir ! Amine.
Sneïba El Kory
Le Calame