Le Mali de mal en pis : Le pays s’oriente vers la partition

Error message

  • Deprecated function: Array and string offset access syntax with curly braces is deprecated in include_once() (line 20 of /home/clients/e0a018e8feac906783ca36fa19011364/essahra/archive_2/fr/includes/file.phar.inc).
  • Deprecated function: implode(): Passing glue string after array is deprecated. Swap the parameters in drupal_get_feeds() (line 394 of /home/clients/e0a018e8feac906783ca36fa19011364/essahra/archive_2/fr/includes/common.inc).
ven, 2015-04-24 17:56

L’intervention militaire française au Mali en janvier 2013 devait être la « success story » de François Hollande : un président résolu qui prenait une décision rapide, démontrait que la France restait une grande nation capable de projeter ses soldats à l’étranger, se battait pour la préservation de la démocratie contre les fanatiques islamistes, le tout en s’éloignant des vieux démons de la Françafrique. Deux ans plus tard, le Mali est devenu l’une de ces guerres oubliées qui ne font plus la une des journaux, mais qui entérinent l’effritement d’un pays dans l’indifférence générale, en premier lieu celle des promoteurs de l’intervention (cf. Afghanistan, Libye, Centrafrique…).

La paix, qui était censée être revenue avec l’achèvement de l’opération Serval et le déploiement de la Minusma, la force intégrée des Nations unies, apparaît aujourd’hui fragilisée. Le nord du pays est toujours une zone interdite pour l’armée malienne, contrainte de laisser opérer les forces spéciales françaises et de voir les militants touaregs installer leur ordre. Les accrochages armés et les attentats, tant contre les civils que contre les soldats maliens ou les forces multinationales, se multiplient dans les régions de Gao, de Tombouctou et de Mopti. Un attentat a frappé pour la première fois la capitale Bamako début mars 2015, provoquant cinq morts dans un bar fréquenté par les étrangers et la bourgeoisie malienne.

Dans un rapport publié mardi 14 avril 2015, l’ONG Human Rights Watch a mis en garde : « Dans le nord, une brève reprise des combats à la mi-2014 a provoqué le retrait des soldats et des fonctionnaires maliens. Ainsi, de vastes portions de territoires se sont retrouvées sans autorité étatique et ont été le théâtre d’abus commis en toute impunité par les séparatistes touaregs, les groupes armés islamistes, les milices pro-gouvernementales et les bandits. Depuis janvier 2015, un nouveau groupe armé islamiste a lancé une vague d’attaques contre des civils dans le centre du Mali. Deux ans après l’intervention militaire menée par la France dans le pays en crise, il règne toujours une anarchie et une insécurité généralisées. »

Il faut ajouter à cela l’un des secrets les mieux gardés de ces derniers mois : la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) est en train de devenir la mission la plus meurtrière de l’histoire de l’ONU avec 46 morts en moins de deux ans…

À Bamako, le pouvoir central dirigé par le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) depuis septembre 2013, n’en finit plus de désespérer les Maliens par son inaction, la perpétuation des vieilles pratiques de corruption et de clientélisme, et ses querelles politiciennes sans fin où trois premiers ministres se sont succédé en 18 mois (voir notre analyse de décembre 2014 : le Mali entre changement et néant). Malheureusement, et c’est le propre du pourrissement, plus le temps passe et moins les choses s’arrangent.

« Il est assez inquiétant de constater que, mois après mois, rien ne change alors que tout le monde est conscient du fait qu’il faut résolument tout changer pour remettre le pays sur pied », confie un diplomate européen en poste à Bamako depuis plusieurs années. « C’est comme si l’impact de l’invasion du nord par les djihadistes en 2012, puis celui de l’intervention militaire des Français, qui ont été des vrais chocs pour la population, avaient finalement été absorbés par un édredon de vieilles habitudes et de mauvaises pratiques… »« Si je dois résumer ce que je constate à Bamako, cela tient en deux choses », explique de son côté un opposant malien à IBK : « Un manque de vision de ce qu’il faut entreprendre pour le pays, et beaucoup d’incompétence. »

Pour ne rien arranger, toute la classe politique malienne semble être suspendue à la signature de l’accord d’Alger, le projet d’accord de paix négocié entre le gouvernement malien et les mouvements armés du nord du pays. Discuté durant de longs mois, d’abord sous la médiation (assez inefficace) du Burkina Faso puis de l’Algérie, ce projet d’accord est censé ouvrir la voie au retour au calme dans tout le pays en même temps qu’à une autonomie accrue du nord du pays, exigence fondamentale des groupes touaregs, regroupés au sein de la Coalition des mouvements de l’Azawad (CMA), et les principaux déclencheurs de la crise en 2012.

Aujourd’hui, le gouvernement malien a paraphé le projet, alors que la CMA a demandé un délai de réflexion, mais ses nombreux « parrains » (ONU, Cédéao, Union européenne, Niger, Mauritanie, Tchad et bien entendu l’Algérie et la France) demandent sa ratification au plus vite… en dépit du fait que la plupart de ceux qui se sont penchés sur le projet d’accord estiment qu’il s’agit d’un mauvais texte qui consacre, de fait, la partition du Mali.

«Sans débat ni discussion»

Pour l’universitaire et spécialiste du Mali Joseph Brunet-Jailly, qui a longuement disséqué le texte en attente de signature sur son blog de Mediapart, « cet accord revient en pratique à la partition du Mali. Il ne s’attaque à aucun des problèmes de fond qui ont déclenché la crise, qu’il s’agisse de la pauvreté, de la condition rurale, du comportement de la justice… » En accordant un important transfert de ressources de Bamako vers les régions du nord (40 % du budget), un droit de regard sur l’exploitation du sous-sol et le prélèvement de 20 % des revenus qui en seront issus, en consacrant l’élection au suffrage universel de gouverneurs régionaux qui seront chefs de leur administration et disposeront d’une force de police, « l’accord d’Alger contient les germes du démantèlement du Mali », confirme le diplomate, qui n’a pas participé à la médiation.

« On rentre dans un autre pays à notre insu, et cela se fait sans débat ni discussion », se lamente l’opposant à IBK, qui estime que le gouvernement malien s’est présenté en position de faiblesse à Alger et s’est laissé balader lors de discussions bilatérales avec les médiateurs. Cette faiblesse de l’État malien est la raison pour laquelle la plupart des observateurs prédisent une partition de fait du pays. « Un gouverneur de région du nord élu au suffrage universel, avec la main sur son assemblée et sur son administration, aura la même légitimité que le président du pays au niveau local, surtout dans le contexte d’un État central affaibli », juge l’anthropologue malien Biram Diakon. Joseph Brunet-Jailly, lui, est encore plus inquiet : « Du fait de la faiblesse notoire de l’État au Mali, ces régions seront de facto indépendantes : plus précisément, elles seront dans la main des puissances étrangères – États, multinationales ou groupes privés armés – qui trouveront intérêt à les coloniser par leurs subsides ou par leurs troupes. »

Une partie des mouvements armés au nord du pays sont imbriqués dans des réseaux de contrebande, et les vieilles allégeances tribales sont bien plus fortes que la démocratie représentative. Quant au Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), un des principaux groupes au sein de la CMA, il a montré depuis 2012 sa perméabilité aux groupes islamistes et sa grande naïveté face à ces derniers. « Ansar Dine et Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) veulent continuer à déstabiliser le Mali qu’ils estiment trop engagé aux côtés de l’Occident », craint Joseph Brunet-Jailly.

La grande question est donc : pourquoi vouloir à tout prix d’un accord jugé aussi mauvais ? La plupart des réponses reviennent à une forme de résignation. Par exemple, pour le chef de la délégation de la plateforme des organisations de la société civile du Mali, l’influent leader religieux Cherif Haïdara, « les Maliens n’ont d’autre choix que d’accepter cet accord. La division du Mali est déjà consommée. Pour se rendre compte de cette triste réalité il suffit d’appeler à Kidal pour constater l’absence de nos militaires ou administrateurs ». Son homologue catholique, lui aussi membre de la plateforme des organisations de la société civile, l’archevêque de Bamako Jean Zerbo, lui fait écho : « Un mauvais accord vaut mieux qu’un non accord. »

« Il y a une forme de déni de la réalité de la part de l’opinion publique et des décideurs au Mali », avance un consultant du bureau de l’Union européenne à Bamako. « Tout le monde dit « On veut la paix ! » et, de ce fait, semble prêt à accepter n’importe quel accord pourvu que celui-ci promette la paix… » Or la résurgence, ces derniers mois, de nombreux petits groupes armés en différents endroits semble promettre le contraire. Car ces groupes locaux, aux affiliations diverses et parfois opportunistes (certains se disent liés aux touaregs, d’autres aux islamistes, d’autres obéissent à des chefs de clans brigands), ne font pas partie des formations représentées à Alger. Ils n’ont donc aucune raison de se plier à un éventuel accord.

Quant aux « parrains » des négociations d’Alger, ils paraissent surtout pressés d’en finir avec ce dossier, à n’importe quel prix. « Il n’y a pas que le Mali en Afrique ! », ironise un homme politique malien proche des négociations. « La France et l’Algérie en ont marre de voir leurs ministres mobilisés sur ce dossier, elles veulent que cela se termine vite et bien ! »« Remettre en cause l’accord aujourd’hui en disant qu’il n’est pas bon reviendrait à braquer l’Algérie, la France, la Cédéao, l’ONU, etc. Ça fait beaucoup de monde et je doute que le gouvernement malien en ait le courage… », estime le consultant européen.

Aujourd’hui, la France ne jure plus que par l’opération Barkhane, présentée comme une vaste opération militaire transnationale de chasse aux terroristes du Sahel. Elle a remis les clefs du maintien de la paix à la Minusma et au Tchadien Idriss Déby, dont les soldats sont les plus aguerris, les clefs des négociations à l’Algérie, et les clefs du renforcement de l’armée et des institutions maliennes à l’Union européenne et à la Banque mondiale.

Officiellement, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes… Ainsi que le raconte le magazine Society, Michel Sapin, qui était récemment au Mali le jour de ses 63 ans, a annoncé l’annulation d’une dette de 65 millions d’euros au président Ibrahim Boubacar Keïta. « « C’est mon anniversaire, mais j’ai envie de vous faire un cadeau monsieur le président », a avancé le ministre français des finances pour lui dévoiler la bonne nouvelle, conduisant son interlocuteur à l’étreindre malgré un lumbago persistant. » Sachant que la créance remontait à 1984 et que la dette bilatérale du Mali à l’égard de la France reste de 130 millions d’euros, cet échange témoigne bien de la manière dont la relation de Paris à Bamako continue d’être considérée… Qu’il s’agisse de finances ou d’opération militaire, et de reconstruction d’un pays que l’on a prétendu « sauver »

PAR THOMAS CANTALOUBE

 

Maliactu