Pour la première fois de leur histoire post-indépendance, vieille de plus d’un demi-siècle, la Mauritanie et l’Algérie s’embrouillent. Renvois de diplomates, risques d’escalades et déclarations intempestives venant d’Alger, silence radio du côté des officiels à Nouakchott…
Beaucoup de questions se bousculent pour comprendre la décision des autorités mauritaniennes d’expulser un diplomate d’un pays ami alors que les raisons d’un tel geste restent encore mal définies.
Vieilles de plus d’un demi-siècle, les relations entre la Mauritanie et l’Algérie depuis leur indépendance, ont connu certes des hauts et des bas, tout au long de l’histoire politique récente des deux pays. Mais jamais, même au plus fort de la profonde crise qu’ils eurent à traverser, notamment la guerre du Sahara dans les années 70, les représentations diplomatiques et les échanges entre Alger et Nouakchott sont restés loin des turbulences politiques.
D’où le caractère jugé grave, certains éditorialistes algériens parlent même de déclaration de guerre, après la décision des autorités mauritaniennes d’expulser le premier conseiller de l’ambassade d’Algérie à Nouakchott. La réaction algérienne n’a pas tardé, et le jour suivant, c’est le premier conseiller de l’ambassade mauritanienne à Alger qui est à son tour expulsé. Alors que l’Algérie promettrait d’autres représailles, sur le plan officiel, la Mauritanie officielle reste muette sur cet incident.
Pour beaucoup d’observateurs nationaux, la crise pourrait bien en rester là, et ne connaîtra aucun escalade, chacun des deux pays restant conscients sur l’utilité de préserver l’essentiel.
Genèse de la crise
Le 20 avril 2015, la Sûreté mauritanienne arrête le journaliste Moulaye Brahim Ould Moulaye Emhamed, directeur de publication du site «El Beyane Souhouvi». Il est accusé d’avoir publié une information relative à une plainte que la Mauritanie aurait adressée à l’ONU et dans laquelle elle accuserait le Maroc de l’inonder de drogue. Les interrogatoires de police se seraient focalisés sur les relations présumées entre le journaliste et un diplomate algérien en exercice en Mauritanie.
Ce diplomate se serait rendu au siège du site incriminé une semaine avant la publication de l’article, selon les services de renseignement mauritaniens. Ils l’accusent d’être derrière l’information. Il faut dire que le ciel des relations commence à s’embellir sur l’axe Nouakchott-Rabat après des années de crise, ce qui pourrait, selon bien d’analystes, indisposer ceux qui ne souhaiteraient pas une telle reprise.
Ainsi, le 24 avril suivant, l’Etat mauritanien procède à l’expulsion du diplomate algérien en question, qui n’est autre que le premier conseiller de l’Ambassade d’Algérie à Nouakchott, Belkacem Cherouati. Le pouvoir mauritanien l’accuse d’ingérence dans les affaires intérieures du pays.
Le 26 avril, l’Algérie réagit par la réciprocité en déclarant le premier conseiller de l’ambassade mauritanienne à Alger de persona non grata. Cette fois, la décision concerne un officier de l’armée, le commandant Mohamed Ould Abdallahi en poste depuis juste quelques mois.
En Algérie, les déclarations officielles autour de cette brouille se multiplient. Ses éditorialistes parlent d’actes gravissimes dans l’échelle des usages diplomatiques. Selon les autorités algériennes, les accusations de la partie mauritanienne contre son diplomate à Nouakchott, n’ont aucun fondement. Le journaliste mauritanien incriminé, dans une déclaration sur la chaîne «Ennahar TV » affirme que les «assertions des autorités mauritaniennes sont fausses».
Un ancien diplomate et ex-ministre algérien, Abdelaziz Rehabi, cité par le site algérien «L’Expression», déclare que «ce qui vient de se passer est totalement inédit dans le relations entre les deux pays». Selon lui, «il est très grave de déclarer persona non grata un diplomate d’un pays voisin et ami», geste qu’il qualifie d’inamical et d’inacceptable, précisant que ses conséquences sont réelles sur l’avenir des relations entre les deux pays.
En Mauritanie, quelques voix s’élèvent contre le traitement fait à la question, certains soutenant que dans de pareilles situations, l’expulsion du diplomate devait être la mesure extrême à prendre, et qu’il y avait d’autres moyens plus souples qu’il fallait entreprendre, telle une note verbale qui aurait pu être adressée au ministère algérien des Affaires étrangères par le biais de son ambassadeur à Nouakchott.
Mais, l’opinion mauritanienne est toujours dans l’expectative faute d’une version officielle des autorités nationales sur cet incident. Ce qui laisse libre cours aux assertions des analystes algériens qui croient voir derrière le geste de l’Etat mauritanien une action pour plaire à des protagonistes tapis dans l’ombre. Côté algérien, certains restent ainsi persuadés que la Mauritanie a été instrumentalisée, comparant sa démarche à une «trahison sur commande». L’occasion aussi de se dédouaner en faisant porter à la Mauritanie la responsabilité d’un tel gâchis diplomatique.
L’incident diplomatique mauritano-algérien profiterait-il au Maroc ?
Même si dans l’interview qu’il a accordée à un site algérien, Abdelaziz Rahabi refuse d’incriminer le Maroc dans l’incident diplomatique entre l’Algérie et le Maroc, beaucoup de ses concitoyens voient dans la brouille entre les deux pays, l’ombre du Royaume chérifien. Il faut rappeler que l’incident survient alors que le ciel des dissensions entre la Mauritanie et le Maroc, assombries depuis quelques années, commence à s’éclaircir, notamment depuis l’entame du second mandat de Mohamed Ould Abdel Aziz en juin 2014. Juste après sa réélection, il avait en effet envoyé son ministre des Affaires étrangères d’alors, Ould Teguedi à Rabat pour remettre une lettre au Roi Mohamed VI.
S’en suivra un ballet diplomatique tous azimuts, avec la visite à la mi-octobre 2014 du ministre de l’Intérieur Ould Mohamed Rara à Rabat, pour signer un accord dans le domaine de la sécurité, suivie une semaine par celle du ministre marocain des Affaires étrangères, Selahdine Mezwari à Nouakchott, tout récemment, c’est le président de l’UPR, Sidi Mohamed Ould Maham, qui était l’hôte du parti Istiklal à Rabat avec diverses rencontres avec des officiels marocains. Il y eut par la suite la signature de l’accord bipartite entre la Communauté urbaine de Nouakchott et sa consœur de Tanger...
Pour plusieurs analystes, ce qui vient de se passer, n’est que le remake d’un éternel balancier qui veut que la Mauritanie n’améliore ses relations avec l’un de ses puissants voisins du Nord que pour se brouiller avec l’autre. Pendant la période des vaches maigres sur l’axe Nouakchott-Rabat, qui a duré de 2008 à 2014, suite à l’expulsion par les autorités mauritaniennes du correspondant local de MAP (l’agence de presse marocaine), c’était l’embellie sur l’autre axe, Nouakchott-Alger. Une période forte en chaleur diplomatique où beaucoup de complicités ont été nouées, notamment dans le domaine sécuritaire, mais aussi diplomatique, l’Algérie ayant contribué à l’élection de Mohamed Abdel Aziz à la tête de l’Union africaine en 2014, comme veut le faire croire une certaine opinion algérienne.
La coopération mauritano-algérienne à travers l’histoire
Beaucoup d’observateurs considèrent que l’indignation des autorités algériennes face à l’expulsion de leur diplomate à Nouakchott, constitue une réaction épidermique de la part d’un pays qui s’est toujours considéré comme «supérieur» et qui ne tolère pas qu’un «plus petit que lui» puisse bander ses muscles. Cette vision par le haut que l’Algérie aurait toujours manifesté à l’égard de la Mauritanie, selon certains de ses détracteurs, expliquerait aujourd’hui la détermination d’Alger à aller encore plus loin dans ses représailles.
Côté Mauritanie, on estime que les autorités savaient bien ce qu’elles faisaient et qu’elles ont sciemment décidé d’expulser sans fioriture le premier conseiller algérien, conscientes de la réaction qui allait suivre côté algérien. Histoire aussi de montrer que la Mauritanie ne tolérait pas de se faire piétiner. la Mauritanie, Mohamed Abdel Aziz, se complait.
L’histoire retiendra cependant que l’Algérie a été le premier pays à avoir garanti la monnaie nationale mauritanienne l’ouguiya, en 1972, à hauteur de 3 Milliards de francs CFA et confia à sa Banque centrale la formation des dirigeants de l’institut d’émission mauritanien. L’Algérie a également formé les trois quart des administrateurs, ingénieux, techniciens, officiers de l’armée, policiers, militaires, mauritaniens. Même au plus fort de la guerre au Sahara, l’Algérie avait refusé d’expulser les étudiants mauritaniens de son sol. Il a fourni des centrales électriques, dont celle du Ksar, fait des dons en espèces et en nature à la Mauritanie, en dehors des prêts préférentiels.
La dette mauritanienne vis-à-vis de l’Algérie est évaluée à plusieurs millions de dollars. En 2008, Alger avait ainsi décidé de convertir en investissement dans des projets en Mauritanie, sa dette publique envers la Mauritanie. En 2013, la Mauritanie faisait partie des 14 pays africains qui avaient bénéficié de l’annulation de ses dettes publiques vis-à-vis de l’Algérie.
Reste que les relations conflictuelles entre la Mauritanie et ses deux voisins du Nord, le Maroc et l’Algérie, restent tributaires des intérêts géostratégiques des deux pays à le mettre dans leur balance pour la question du Sahara Occidental. Ainsi, au gré des contingences, se succèdent les périodes de glamour et de divorces temporaires, la Mauritanie se révélant en définitive être un partenaire volage, celui qui ne parvient pas encore à tisser des relations plus durables et concomitantes avec ses deux pays frères.
Mais la Mauritanie reste un pays important pour la diplomatie algérienne, et dans la gestion géostratégique au Sahel. Elle ne peut ainsi, à ce titre, être traitée de quantité négligeable ni de poids mort dont l’Algérie pourrait se défaire sans conséquences.
Cheikh Aïdara
L'Authentique