
L’Irak et laSyrie dépecés, Damas etBagdad assiégées, le grand rêve du nationalisme arabe n’est plus qu’un souvenir. Place au "califat".
Les cohortes de Daeshont porté un coup fatal au rêve arabe, déjà mal en point. De Ramadi (Irak) àPalmyre (Syrie) les séides de l’État islamique ont effacé les frontières héritées du démantèlement de l’empire ottoman. Ils ont fait exploser deux États qui se voulaient modernes, enracinant leur légitimité dans les pages les plus glorieuses de l’histoire arabe : l’empire omeyyade (VIIe-VIIIe siècle) et l’empire abbasside (VIIIe-XIIIe siècle). Damas et Bagdad ne sont plus que des réduits assiégés, défendues par des milices. Les armées nationales sont en lambeaux.
Le mythe de la "nation arabe" a vécu. Il est touché au cœur. Les nationalismes ont été balayés par le déferlement de l’islam politique. Place au "califat" !
Il n’est pas certain que le "califat" de Daesh, malgré ses spectaculaires succès actuels, dure bien longtemps. Mais, ce qui va indéniablement subsister, c’est le morcellement de la région, la fragmentation de la souveraineté et une instabilité permanente, sinon un chaos. Dans cette tectonique des plaques géopolitique, les Kurdes parviennent, pour l’instant, à tirer leur épingle du jeu au détriment du seulIrak.
Le jeu turc et iranien
Toute la zone est, en fait, devenue un gigantesque terrain de manœuvre. Deux géants musulmans non arabes poussent leurs pions : la Turquie, qui marche dans les pas de l’empire ottoman et l’Iran dans ceux de l’empire perse. La fragileArabie saoudite est, elle, arcboutée sur son statut de défenseur des deux principaux lieux saints de l’islam (la Mecque et Médine). Mais en dépit de son monceau de pétrodollars, elle peine à surenchérir dans cette périlleuse partie de poker. L’Arabie hésite, zigzague, tire des bords entre les écueils, car elle redoute autant l’Iran que Daesh.
Dans ce Machrek en pièce (le Maghreb est ailleurs), la seule grande puissance arabe qui, in fine, subsiste est l’Égypte du général Abdel Fattah al-Sissi. Celui-ci n’est ni un poète ni un défenseur forcené des droits de l’homme. Il ne lésine pas sur les moyens pour neutraliser le danger islamiste comme vient de le démontrer la condamnation à mort de l’ancien président Mohamed Morsi. L’Occident, malgré quelques protestations moralisatrices de pure forme sur l’horrible répression qui s’abat sur les Frères musulmans, détourne pudiquement le regard, considérant, comme Goethe jadis, qu’il vaut mieux, à tout prendre, une injustice qu’un désordre.
Prudence occidentale
Face à cette sanglante pétaudière, Américains et Européens avancent à pas comptés. Les premiers, instruits par l’Irak et l’Afghanistan, redoutent comme la peste de s’engluer dans ces inextricables conflits. Washington n’est, en outre, pas persuadé que les intérêts vitaux de l’Amérique soient réellement menacés par Daesh. Dans cette équation à plusieurs inconnues un facteur crucial : Barack Obama souhaite véritablement aboutir à un accord avec l’Iran sur le nucléaire.
Les Européens de leur côté sont tributaires des Américains et, en dehors de laFrance, peu enclins à aller se mêler des affaires de plus en plus compliquées d’un Orient qui s’apparente à un champ de mines.
Le Point