Le FrontPolisario s’est engagé à respecter le premier protocole additionnel. Une première. D’autres groupes rebelles vont-ils s’engouffrer dans la brèche? Le Maroc ne décolère pas contre laSuisse, depuis qu’elle a accepté que le FrontPolisario, l’ennemi juré du royaume, rejoigne les Conventions de Genève.
La Suisse, dépositaire de ces traités, en a informé les autres Etats parties le 26 juin dernier, mais la nouvelle est passée inaperçue. Elle a pourtant des implications qui vont bien au-delà du vaste territoire entre le Maroc et laMauritanie, contrôlé à 80% par Rabat mais disputé par les rebelles sahraouis.
C’est en effet la première fois qu’un groupe armé rejoint les Conventions deGenève, plus exactement le premier protocole additionnel de 1977. Lequel prévoit ce cas de figure. «Dans les années 1990, les Tchétchènes avaient fait la même démarche que le Polisario, mais la Suisse n’avait pas accepté leur déclaration», rappelle Marco Sassoli, professeur de droit à l’Université deGenève.
A Berne, le Département fédéral des affaires étrangères confirme qu’il n’avait jamais reçu de demande répondant à toutes les conditions fixées par le protocole additionnel.
Les critères sont très restrictifs. Il faut être un mouvement de libération nationale et représenter un peuple distinct. «Le protocole a été négocié pendant la décolonisation, et cette possibilité devait s’appliquer à des mouvements comme l’ANC de Nelson Mandela», poursuit Marco Sassoli. La reconnaissance de l’Etat islamique ou de Boko Haram, au Nigeria, comme l’agite le Maroc, n’est donc nullement d’actualité.
«Les meilleurs candidats seraient les Kurdes du PKK, mais la Turquie, contre laquelle ils se battent, n’a pas ratifié le protocole additionnel de 1977, contrairement au Maroc», estime Marco Sassoli.
La Suisse a récemment accepté que la Palestine soit liée par les Conventions deGenève, pas en tant que groupe armé, mais en tant qu’embryon d’Etat de plus en plus reconnu par la communauté internationale.
Une paix froide
Sur le terrain, l’adhésion du Front Polisario ne devrait pas changer grand-chose. Les combats sont terminés depuis le cessez-le-feu de 1991. Les derniers prisonniers de guerre marocains ont été libérés en 2005, les détenus sahraouis l’ont été avant, indique le Comité international de la Croix-Rouge (CICR).
Il reste la lancinante question des disparus de part et d’autre ainsi que les munitions non explosées qui continuent de tuer et mutiler. Un nombre incalculable de mines antipersonnel est enterré le long des quelque 2700 km du «mur des sables» construit par Rabat dans les années 1980 et qui sert de ligne de démarcation avec les territoires contrôlés par le Polisario.
«Rien n’est réglé, dénonce Mahmed Abdel, représentant du Polisario. Le référendum sur l’avenir du Sahara occidental n’a toujours pas pu être organisé. Mais, si la guerre reprend, nous respecterons le droit humanitaire.»
Avec le feu vert donné par la Suisse, le Polisario se félicite d’avoir remporté «une victoire diplomatique». Mahmed Abdel espère que le CICR sera désormais moins frileux à l’égard du Polisario. «Il y a quelques années, nous lui avions demandé de participer à l’identification de cadavres dans des fosses communes, mais il avait refusé», regrette-t-il.
Le CICR a effectivement décliné l’offre, «car ces démarches étaient très politiques». L’organisation est présente dans les camps de réfugiés sahraouis àTindouf, en Algérie, où elle gère un centre orthopédique pour les victimes des munitions non explosées. Elle collabore aussi avec le Croissant-Rouge marocain.
«Le fait qu’un acteur, quel qu’il soit, s’engage à respecter les Conventions deGenève est forcément une bonne nouvelle», réagit Claire Kaplun, porte-parole duCICR. D’autant que les guerres contemporaines mettent toujours plus aux prises des groupes non étatiques. «D’un point de vue humanitaire, les Etats auraient tout intérêt à ce que leurs ennemis soient soumis aux mêmes règles qu’eux. Mais ils sont obnubilés par le regain de légitimité procuré aux groupes armés», conclutMarco Sassoli.
Le Temps