L’immigration clandestine devient un fléau qui menace aussi bien l’Etat que le citoyen en Libye, un véritable danger pour tous. Dans un climat de confusion sécuritaire et d’absence de lois, des milliers de migrants de nationalités différentes arrivent de toutes parts en Libye.
Tobrouk est l’une des villes situées sur la frontière nord qui longe l’Egypte. Elle assume la plus grosse part de responsabilité dans l’arrestation des migrants et leur renvoi, à travers la frontière, vers leur pays d’origine.
Mohamed, est un jeune égyptien de 15 ans, originaire de la province d’El Meniya. Il est le plus jeune migrant arrivé à Tobrouk et il nous raconte son voyage : « Je suis d’une famille pauvre d’El Meniya. Notre situation est devenue encore plus difficile lorsque mon frère cadet est tombé malade.
Je suis l’aîné de la fratrie et c’est à moi de me sacrifier pour aider ma famille à survivre et à trouver les moyens nécessaires pour le soigner. Je n’ai pas de diplôme, ni même un métier qui pourrait me faire vivre.
Alors, un ami à moi m’a suggéré de partir en Libye où l’on peut trouver du travail, m’a-t-il dit, et où je pourrais me faire employer dans un atelier de menuiserie ou dans une forge, de même que je pourrais bénéficier de l’écart des taux de change. Il m’a aussi promis de me faire rencontrer une personne qui, contre une somme donnée me faciliterait, le départ en Libye ».
Poursuivant son récit, Mohamed nous fait part de toutes les difficultés auxquelles il a été confronté : « Je ne pouvais donc que le dire à mon père qui a accepté sans hésitation, bien que je sois très jeune encore, tant il est vrai que les circonstances qui nous y ont poussés étaient plus fortes que tout.
« Je n’ai pas perdu de temps, continue-t-il. Accompagné de mon père, je suis allé voir cette personne qui a exigé la somme de 7000 livres égyptiennes, ce qui représente un montant très élevé.
Nous n’avions alors d’autre solution que de vendre la vache, d’autant que cette personne nous avait assuré que quelques mois seulement de travail suffiraient à récupérer cet argent. Nous avons payé le prix qu’il fallait et il a fini par m’arranger ce voyage exténuant d’un endroit à un autre et d’un passeur à un autre, en compagnie d’environ 30 personnes de la même province.
« Après nous avoir livrés à un bédouin, nous avons roulé à travers les dunes à bord des 4X4 rapides au désert. Nous n’avions pour unique ration journalière qu’une petite bouteille d’eau, un petit triangle de fromage et un morceau de pain.
« Le soir, nous avons franchi la frontière libyenne et c’est là que nous avons été surpris par une patrouille militaire qui nous attendait pour nous capturer. Nous avons donc été arrêtés et nous sommes arrivés dans ce camp où nous avons rencontré des centaines de migrants avec qui nous nous préparons au retour.
« Mes rêves en couleurs se sont dissipés et je vais devoir abandonner mon frère à son triste sort, seul contre la maladie. De même, je me demande ce qui va arriver à mon père qui a vendu pour ce voyage notre unique vache, et si on va pouvoir récupérer l’argent donné au passeur », confie-t-il.
La même expérience a été vécue également par Mekhimar, un jeune égyptien de 26 ans, originaire de la province d’El Menya. Architecte de décoration, il est venu chercher de l’emploi en Libye mais il n’avait pas de passeport pour passer les frontières de manière légale.
« Mon ami, raconte-t-il, m’a alors soufflé qu’il avait une solution à mon problème. C’était comme si les portes du ciel s’ouvraient à moi ! J’étais heureux de pouvoir enfin réaliser mon rêve de partir vers la Libye, d’y travailler et d’envoyer de l’argent à ma femme et à mon petit garçon…
La situation lamentable dans laquelle je me trouvais en vivant dans une chambre unique chez mon père allait enfin s’arranger et j’allais enfin devenir autonome avec une maison à moi, où je vivrais avec ma petite famille…
« Mon ami m’a expliqué la façon dont se fera mon départ vers la Libye et m’a arrangé une rencontre avec une personne que je ne connaissais pas. Nous nous sommes mis d’accord sur la somme de 6000 livres égyptiennes en échange de me faire passer en Libye.
J’ai payé la somme en empruntant à mon épouse et à mes proches et en me disant que le travail que j’allais pouvoir trouver en Libye ainsi que les salaires que j’allais pouvoir toucher me permettraient de tout rembourser en quelques mois seulement. Je me suis donc préparé en emportant des rêves en couleurs pour moi, pour ma pauvre famille, pour ma femme et pour mon unique enfant…
« J’ai quitté El Meniya. Mon éprouvant périple dura quatre jours pendant lesquels nous transitions d’un endroit à un autre, la peur au ventre… Si seulement il nous avait été donné de réussir ! Nous avons été capturés par une patrouille militaire qui nous emmena à Tobrouk, dans ce camp où me voici avec beaucoup d’autres migrants comme moi, dans l’attente du retour en Egypte.
Il ne me reste plus qu’à poursuivre le passeur et l’intermédiaire et je ferai n’importe quoi pour récupérer la somme que j’ai payée. Je ne penserais plus jamais au départ. », conclut Mekhimar.
Cette dame égyptienne de 29 ans qui répond au nom de Mabrouka, rêvait elle aussi d’une meilleure situation financière, ce qui l’a poussée à risquer sa vie et à partir vers l’inconnu. Elle s’est expliquée dans son accent égyptien: « Je suis mère et mon mari est pauvre. Nous rêvons tout le temps d’une vie où nous serions heureux comme tous les autres gens. Notre situation en Alexandrie, on ne la souhaiterait pas à son pire ennemi, encore moins à un ami ».
Elle pousse un soupir déchirant de tristesse pendant que des larmes chaudes coulent de ses yeux qu’elle détourne de notre caméra en mettant la main sur le ventre. Elle est à ses derniers mois de grossesse et elle a commencé à avoir les premières contractions dans le camp après avoir été arrêtée avec son mari et ses enfants.
Avec sa voix étouffée de tristesse et de larmes, elle nous fait part de son expédition infernale : « Le 4X4 tantôt se propulsait en hauteur et tantôt retombait dans des crevasses. Je n’avais d’autre sensation que celle du bébé qui est en moi. Je ne savais ni où nous étions, ni où nous allions ; tous ce que je savais, c’est que j’étais dans une voiture qui traversait les dunes sur une route dangereuse vers l’inconnu.
Nous avons transité d’un endroit à un autre jusqu’à ce qu’on nous ait arrêtés et amenés sur ce camp qui regorge de centaines de migrants capturés. Mes enfants étaient avec moi mais ils ne se rendaient compte de rien.
« Lorsque les douleurs se sont accentuées et que j’ai ressenti les contractions, un haut responsable de la Municipalité de Tobrouk est arrivé et a ordonné que je sois transportée dans une clinique privée pour accoucher dans de bonnes conditions. Ce comportement humain m’a fait plaisir, malgré ma tristesse. Je n’aurais jamais cru que je mettrais mon enfant dans cette ville que je ne connaissais pas auparavant ».
Pour sa part, le colonel Saâd Egnaoui, commandant du poste-frontière de l’oasis de Jaghboub, assure que des centaines de migrants ayant des nationalités arabes différentes, Egyptiens, Syriens et Africains, ont été capturés.
La même source précise également que la tranche d’âge des migrants varie de 15 à 30 ans, ce qu’il considère comme inquiétant, étant données les circonstances que traverse le pays et les risques de délinquance et d’endoctrinement extrémiste.
De son côté le colonel Omar Ahmed, directeur de la police municipale de Tobrouk assure que de nombreux citoyens se plaignent de la propagation considérable de l’hépatite après l’afflux des migrants en Libye.
Relevons d’ailleurs que durant les quatre dernières années, ont déferlé sur la Libye des milliers d’immigrants venant de toutes parts et de nationalités différentes, égyptienne, syrienne, bangladaise, soudanaise et quelques autres africaines.
Ils ont envahi les ateliers, les salons de coiffure, les boulangeries et les restaurants, augmentant ainsi les soucis des Libyens déjà tenaillés entre l’absence de lois et la peur des épidémies et n’ayant d’autre souhait que de voir la sécurité et la stabilité régner dans leur pays.
DuneVoices