Gambie : Yahya Jammeh, "le fils de Bokassa et d'Idi Amin Dada"

Error message

  • Deprecated function: Array and string offset access syntax with curly braces is deprecated in include_once() (line 20 of /home/clients/e0a018e8feac906783ca36fa19011364/essahra/archive_2/fr/includes/file.phar.inc).
  • Deprecated function: implode(): Passing glue string after array is deprecated. Swap the parameters in drupal_get_feeds() (line 394 of /home/clients/e0a018e8feac906783ca36fa19011364/essahra/archive_2/fr/includes/common.inc).
sam, 2017-02-04 11:27

REPORTAGE. En 1994, un jeune soldat, après un coup d'État, prenait le pouvoir presque par défaut. Retour sur les premières années de terreur en Gambie.

Le général Lang Tombong Tamba n'a jamais parlé, pas même aux journalistes étrangers que la Gambie regardait pour s'informer quand la télévision nationale était contrôlée par Yahya Jammeh. Lui, son ancien chef d'état-major, est un miraculé.

Ennemi de l'intérieur:

« En 2006, je l'ai sauvé d'un coup d'État. Ça m'a valu six ans de prison », lance-t-il. Il aurait dû en mourir. Aujourd'hui, se taire n'est plus nécessaire. Cette nuit, à la télévision, le tyran a annoncé qu'il renonçait au pouvoir.

Tamba raconte : « En mars 2006, Jammeh était en visite en Mauritanie. Un groupe de soldats mené par le colonel Ndure Cham, chef d'état-major, voulait le renverser. J'étais son adjoint, je l'ai empêché. 

À l'époque, je ne trouvais pas Jammeh si terrible. Les disparitions, les assassinats, on ne savait pas si c'était mal... Il m'a fait chef d'état-major, mais je suis devenu trop populaire, en Gambie et au Sénégal, avec lequel je travaillais beaucoup. Des officiers en ont parlé à Jammeh, qui m'a saqué, en octobre 2009. 

Parce que lui seul peut être populaire. J'ai été accusé de tentative de coup d'État. » Il est arrêté avec 8 autres, condamné à mort, puis à la prison à vie faute de preuve. Il ne passera « que » 6 ans en prison. Tout Jammeh est dans cette histoire : le complot, la peur, le châtiment. « Allah a décidé de la fin de mon mandat… parfois, il teste votre foi », a-t-il dit aux micros. Jammeh est persuadé d'avoir gagné la présidentielle du 1er décembre 2016, lui qui avait commencé par reconnaître sa défaite, et d'être victime d'un complot. Qu'importe. 

Il part. Après 22 ans de dictature. La Gambie se réveille d'un long cauchemar et elle se penche sur son passé. Jammeh n'y a pas laissé grand-chose. « À part un traumatisme collectif dû à une brutalité inouïe, rien », estime Jeffrey Smith, de Vanguard Africa, think tank à Washington qui soutient la démocratie en Afrique.

 

Le bilan est accablant:

« En 1994, lorsqu'il est arrivé au pouvoir, le PIB par habitant de la Gambie était le 3e d'Afrique de l'Ouest, derrière la Côte d'Ivoire et le Cap-Vert. Aujourd'hui, c'est l'avant-dernier, et le seul qui a reculé, de 30 %. Alors que les voisins ont connu des guerres civiles et Ebola. Les Gambiens sont plus pauvres qu'il y a 30 ans. » Les jeunes fuient en masse. 

Selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), entre janvier et juillet 2016, la Gambie est le 3e pays d'origine des migrants sur les côtes italiennes, après le Nigeria et l'Érythrée. Or, elle compte 1,9 million d'habitants… « Surtout, c'est la pire dictature qu'il y ait eu sur le continent. Je dis, pour plaisanter, que c'est comme si Bokassa avait eu un fils avec Amin Dada.

En termes de pressions, d'implication personnelle du pouvoir, de cruauté, c'est peut-être ce qu'on a vu de pire au monde », affirme Jeffrey Smith.Cela n'aurait pas dû se passer comme ça. En 1965, la colonie britannique obtient l'indépendance et devient une monarchie constitutionnelle dans le Commonwealth.

En 1970, elle devient une république et son Premier ministre, Dawda Jawara, accède à la présidence. 24 ans plus tard, il est toujours au pouvoir. « La corruption commençait à gangrener le pays, même si ce n'était pas comparable à aujourd'hui », se souvient un ancien conseiller de Jammeh. Le 22 juillet 1994, une poignée de soldats renverse Jawara. Le coup d'État est rapide, le président se réfugie sur un navire américain.

 

Fausses promesses:

Mais rien ne destine Jammeh, 29 ans, à devenir l'homme fort du nouveau régime. « Celui qui a été choisi pour prendre le pouvoir, c'était Edward Singhateh, mais il a décliné parce qu'il était chrétien, il a cru que ça poserait un problème, dans un pays musulman », confie Tombong Tamba

Yahya Jammeh n'inspire pas vraiment confiance. Le capitaine, né à Kanilaï, dans une famille de paysans, vient de la police militaire. Il a de sérieux problèmes de discipline. « Il aimait ça, mais pour les jeunes soldats… Il aimait punir. Et il était violent, c'est pour ça qu'il avait toujours des problèmes avec son chef », décrit Tombong Tamba, qui le connaissait à l'armée. 

Au peuple, il promet d'instaurer « transparence, responsabilité et probité » et un retour à la démocratie. Tout en faisant place nette. Les autres putschistes, Sana Sabally, Sadibou Hydara, Yankuba Touray et Edward Singhateh (aujourd'hui vice-président de la Cedeao), sont mis hors jeu. En novembre 1994, les deux premiers sont accusés de tentative de coup d'État. Hydara est torturé à mort en prison, Sabally, libéré, s'exile.

 

Purge:

En 22 ans, une dizaine de coups d'État seront dénoncés, certains avérés, d'autres inventés par Jammeh, qui purge l'armée lorsqu'il a un doute sur la fidélité de certains. Car l'homme, en plus d'être brutal, est maladivement paranoïaque. 

En juin 1995, le corps d'Ousman Koro Ceesay, le ministre des Finances, est retrouvé dans sa voiture calcinée. Le régime de la terreur est en place. Les deux premières années, la Constitution est suspendue, Jammeh gouverne par décret et charge un comité d'en rédiger une autre.

La première version contient la limite de deux mandats pour le président, le comité la retire avant le référendum, en 1996. Rien d'étonnant que, 20 ans plus tard, quand la Cedeao tente d'imposer cette limite à tous les présidents de la région, après le départ forcé de Blaise Campaoré du Burkina Faso, Jammeh bloque la mesure avec Faure Gnassingbé, au pouvoir au Togo depuis 2005. 

En 1996, Jammeh quitte donc l'armée pour se présenter à la présidentielle, qu'il gagne. « Il n'a jamais cru à son programme de probité, il a pillé dès le départ, l'argent de Kadhafi et les mallettes de billets arrivaient de Taïwan et allaient sur ses comptes personnels », dénonce un ancien conseiller aux Affaires étrangères. Des commissions légalisent les spoliations des terres les plus fertiles. La politique étrangère de Jammeh sert aussi ses propres intérêts. Les relations avec la Chine sont rompues, au profit de Taïwan.

Instabilité chronique

Les rapports avec le Sénégal, dans lequel la Gambie est enclavée, se tendent, entre autres parce que Jammeh soutient les rebelles casamançais. Après sa réélection en 2001, l'assassinat, au volant de sa voiture, du fondateur du journal The Point, Deyda Haidara, en 2004, marque un tournant.

La répression devient monnaie courante, les disparitions, arrestations arbitraires, emprisonnements et tortures dans la prison de Mile 2, à Banjul, se multiplient. Ils frappent simples citoyens, militaires, opposants réels ou supposés, journalistes, ministres. « Avant d'entrer au gouvernement, je critiquais le régime, explique Amadou Scattred Janneh, ministre de l'Information entre 2004 et 2005 et jeté en prison en 2011.

Il me voyait comme un outsider, ça lui permettait de dire J'ai des opposants au gouvernement. Mais je n'ai jamais eu d'entretien avec lui. Le gouvernement ne servait qu'à donner l'illusion de la normalité. Il disait C'est moi qui ai été élu par le peuple, c'est moi qui décide. Et on pouvait sauter à tout moment. » Jammeh n'a confiance qu'en une ou deux personnes.

Les conseils des ministres se déroulent autour d'une longue table et seuls ceux qu'il appelle à côté de lui savent de quoi il retourne. Certains ne sont jamais appelés. « Il était complètement imprévisible, parfois il faisait des blagues, parfois, il n'ouvrait pas la bouche, parfois il insultait les ministres. Ils avaient si peur que quand nous voyagions, ils venaient me demander de quelle humeur il était », se rappelle un ancien cadre. 

Jammeh entretient la terreur en recourant au mysticisme, il prétend être investi de pouvoirs magiques. « C'est un charlatan, un voyou, un mythomane, un mystificateur, il se sert de ça à des fins politiques », affirme cet ancien proche.

 

Légende:

« Un jour, à Kanilaï, il s'est caché en brousse et il est réapparu plus loin, en prétendant qu'il avait communiqué avec les esprits. » Selon son ancien ambassadeur à Washington, Essa Bokarr Sey, passé à l'opposition, il y croit : « Il est très superstitieux. Il a peur des bossus, des albinos, des prématurés, des handicapés mentaux… 

Il est persuadé que des démons le protègent, au Mali, en Guinée Bissau et en Gambie. » Le comique touche au tragique lorsqu'en 2007, il dit avoir inventé une boisson à base de plantes, sur laquelle il lit des versets du Coran, qui soigne le sida. Le traitement requiert que le patient cesse de prendre ses antirétroviraux. 

Parmi les autres épisodes qui ne prêtent plus à sourire, une campagne de détection de sorciers, en 2009. Selon Amnesty International, des soldats de la garde présidentielle ont enlevé quelque 1 000 personnes, forcées de boire une décoction hallucinogène censée dénoncer les sorciers. Certains en sont morts. Jammeh aurait ainsi voulu venger le décès de sa tante, victime d'un mauvais sort. Dans le pays, on parle de sacrifices humains.

« C'est difficile à dire, aucun proche ne l'a confirmé. Quand il y a un tel manque de transparence, les rumeurs prospèrent », esquive un officiel qui a travaillé avec son chef de protocole. Si Adama Barrow ne s'est pas installé au palais présidentiel, c'est, selon Halifa Sallah, son porte-parole, parce qu'on craignait que ne s'y trouvent des engins explosifs. 

La rue a une autre explication : « Il y a des fétiches, Jammeh a laissé des poudres mortelles dans la climatisation », assure Saineh Touray, 30 ans, vendeur de vêtements au marché de SerrekundaJammeh a beau s'être envolé, sa légende lui survit.
 

 

Le Point