Attentat du Burkina : un électrochoc «salutaire» pour la région?

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lun, 2018-03-05 19:13

Les terroristes qui ont frappé Ouagadougou auraient-ils, d’une certaine manière, manqué leur cible? Au lieu de la sidération espérée, cette attaque pourrait bien provoquer un sursaut, tant dans la lutte internationale contre le terrorisme qu’au sein même du Burkina Faso. Analyse d’Emmanuel Dupuy, président de l’IPSE.

Huit morts, près de 80 blessés. La double attaque terroriste de Ouagadougou, le 2 mars 2018, aura été moins sanglante que l'attentat de janvier 2016, ou celui, plus récent, d'août 2017. Cependant, la portée de cette dernière fusillade n'est pas la même: le mode opératoire est autrement plus sophistiqué; le choix des cibles plus significatif. Une dichotomie avant/après 2 mars 2018 s'impose.

«Les scènes apocalyptiques» décrites par le Premier ministre du Burkina Faso, Paul Kaba Thieba, renvoient à l'enchaînement macabre, déclenché vers 10 heures du matin. Des hommes armés sortent d'un véhicule pour ouvrir le feu sur des passants, avant de se diriger vers l'ambassade de France. Quelques minutes plus tard, et «de manière coordonnée», un autre groupe s'attaque à l'État-major général des armées. Un véhicule bourré d'explosif provoque une très forte déflagration. Pendant des heures, le ciel ouagalais est assombri par une épaisse fumée, alors qu'à terre, des corps calcinés jonchent le sol de ce haut lieu de l'institution militaire burkinabè, où devait se tenir une réunion du G5 Sahel.

Trois cibles, donc, Ambassade de France, État-major de l'armée et des civils, pour ce troisième attentat d'envergure qui frappe «le ventre mou» de la région, dans un contexte national et régional particulier.

Pour Emmanuel Dupuy, universitaire et président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), l'attaque du 2 mars fera bouger les lignes sur pas moins de trois dossiers sensibles. Le processus de la Force G5 Sahel s'en trouvera dynamisé, le chantier sur la réforme du secteur de la sécurité accéléré, et les tensions liées au procès des «putschistes» de septembre 2015 mieux gérées.

La redynamisation du processus FC-G5 Sahel

Officiellement lancée en juillet 2017, sous l'impulsion de la France, cette coalition de cinq armées (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad), la Force conjointe (FC) G5-Sahel, est liguée contre le terrorisme régional et devrait être opérationnelle à l'été 2018. Toutefois, le déblocage du budget (414 sur les 480 millions d'euros nécessaires) par les bailleurs de fonds peine à se concrétiser. À ce jour, seules deux opérations conjointes ont pu être effectuées, Hawbi et Pagnali, respectivement en novembre 2017 et en janvier 2018, aux frontières du Burkina Faso, du Mali et du Niger.

«Il est fort probable que la France cherchera, désormais, à exercer des pressions supplémentaires sur les États du G5 Sahel, les bailleurs de fonds ainsi que sur les puissances régionales (Algérie, Maroc, Sénégal), pour que d'ici juin la FC-G5 Sahel soit tout à fait opérationnelle, avec plus d'opérations conjointes, plus de résultats à l'aune de l'agenda soutenu par la communauté internationale», estime le président de l'IPSE, dans un entretien avec Sputnik.

L'accélération du processus est d'autant plus urgente que la coalition qui s'était formée, initialement, contre des factions terroristes disséminées dans la région, doit faire face, désormais, à une autre «coalition», qui a revendiqué le double attentat. Né il y a tout juste un an, le «Groupe pour le Soutien de l'Islam et des musulmans» (GSIM) entend clairement s'en prendre à la France comme à la force G5 Sahel.

«La mise hors d'état de nuire de plusieurs lieutenants du chef du GSIM, Iyad Ag Ghali, dont Mohamed Hacen Al-Ancari, tué récemment par une frappe française dans une région située aux confins de la frontière entre le Mali et l'Algérie, jusqu'ici peu explorée par les forces de l'opération Barkhane, semble confirmer que le mouvement né du regroupement des groupes armés terroristes affiliés à Al-Qaida (Ansar Dine, Mujao, Aqmi) vise désormais la France et la future Force conjointe du G5-Sahel», estime l'universitaire français.

De là, un double glissement du centre de gravité de la lutte antiterroriste s'opère, qui fait que d'une part la menace s'installe durablement dans le sud du Sahel, alors qu'elle en touchait davantage le Nord, et que d'autre part,

«les opérations des groupes terroristes se font désormais dans les zones urbaines où se concentre l'attention médiatique et non plus seulement dans leurs zones traditionnelles d'ancrage», d'après Emmanuel Dupuy.

Ce qui met aussi en question la capacité des forces de sécurité nationales à relever ce défi. Un autre chantier.

Réforme du secteur de la sécurité

Depuis la chute du régime de Blaise Compaoré, chassé du pouvoir par un soulèvement populaire fin octobre 2014, «toute l'architecture sécuritaire [du Burkina Faso, ndlr] a volé en éclats», rappelle Emmanuel Dupuy. Résultat, plus de 133 morts au cours de 80 attaques menées dans le nord du pays depuis 2015, d'après une source officielle burkinabè. À la question de savoir comment les assaillants ont pu se retrouver à l'intérieur du siège de l'État-major, le ministre des Affaires étrangères du Burkina Faso, Alpha Berry, a indiqué que «les enquêtes vont pouvoir situer les différentes responsabilités». En attendant, les défaillances sont là. Criantes.

«L'attentat du 3 mars accélérera, sans doute, le chantier lié à la réforme du secteur de sécurité, renseignement inclus. Les militaires vont être mis sous pression pour qu'ils accélèrent cette restructuration, pour répondre à la pression que ne manqueront pas d'exercer les groupes armés terroristes et reconstituer le maillage sécuritaire qui était efficace sous Blaise Compaoré», prévoit Emmanuel Dupuy.

Cette efficacité redoutable était aussi liée, en grande partie, à la réputation de médiateur que s'était forgé l'artisan de l'Accord de Ouagadougou, signé en juin 2013 entre Bamako et les groupes rebelles du Nord (MNLA et HCUA).

À ce titre, le régime de Compaoré entretenait un canal de discussion avec les différents groupes armés, terroristes compris. Ce qui l'a doté d'une grande marge de négociation, souvent fructueuse pour libérer plusieurs otages occidentaux entre 2012 et 2014, rappelle le président de l'IPSE.

«Ce lien privilégié permettait aussi au régime d'être à l'abri des attaques terroristes. Le Burkina était, alors, un havre de paix et de sécurité. Après 2014 et la tentative de putsch, le système sécuritaire a été lourdement affaibli», rappelle le président de l'IPSE.

Les conséquences du putsch mené en septembre 2015 par le Régiment de Sécurité Présidentielle (RSP) ne se sont pas limitées à la dissolution du fleuron des corps militaires burkinabè. Une vive tension prévaut aujourd'hui, au sein de l'armée comme de la classe politique, alors que le procès des putschistes prend des dimensions hautement politiques.

Tempérer les tensions liées au putsch:

Le procès qui s'était ouvert mardi a aussitôt été reporté, sine die, après que les avocats de la défense ont argué d'irrégularités. Sur le banc des accusés: 84 personnes, dont Gilbert Diendéré et Djibrill Bassolé. Le chef du RSP et l'ancien ministre des Affaires étrangères sont soupçonnés d'être les principaux instigateurs du «coup d'État le plus bête du monde». Celui-ci n'en a pas moins fait 14 morts et plus de 250 blessés. Plus de 300 personnes se sont constituées parties civiles à l'occasion de ce procès qui exacerbe toutes les tensions. Au sein des militaires, comme de l'ancienne majorité présidentielle, on n'affiche pas forcément un anti-putschisme à toute épreuve. Le président Roch Marc Christian Kabore, lui,

«veut montrer, à travers ce procès, sa pleine détermination à juger les auteurs du putsch et afficher sa capacité à tenir tête aux militaires, notamment ceux gardant quelques bons contacts avec les putschistes», estime Emmanuel Dupuy.

Une affirmation de leadership, qui n'est pas sans lien avec la présidentielle de 2020, à laquelle entend se présenter Djibrill Bassolé, principal coaccusé, en cas d'acquittement. Une sentence peu probable, au demeurant, de la part d'une «justice militaire taxée à tort ou à raison d'être à la solde du pouvoir actuel, qui joue sa crédibilité lors de ce procès», d'après le politologue burkinabè Abdoul Karim Saidou, cité par Jeune Afrique.

«Or, la communauté internationale entend être particulièrement vigilante quant aux priorités auxquelles s'attellera dans les jours prochains le gouvernement Kabore. La conférence des donateurs de Bruxelles (pour le G5 Sahel) avait bien insisté sur l'urgence sécuritaire qui prévaut sur toutes les autres. Ce ne serait pas très opportun, dès lors, que Kabore mette trop d'emphase à combattre les militaires après que ce qui s'est passé, alors que la sécurisation dépend, au premier chef, des forces armées. C'est pour cela qu'on pourrait s'attendre, dans les prochains jours, à ce que le procès soit, non pas être mis sous le boisseau, mais minoré dans la médiatisation», conclut Emmanuel Dupuy.

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