Violences et militarisation. La police américaine est sous le feu des critiques après une série de bavures, à Ferguson, New York ou Phoenix, à l'issue desquelles les policiers responsables de la mort de jeunes noirs sont invariablement exemptés de poursuites.
Aujourd'hui, c'est la police de Chicago qui est au centre des accusations ; un souci de plus pour Rahm Emanuel, maire de Chicago et ancien conseiller de Barack Obama en lice pour sa réélection.
Dans une enquête exclusive, le Guardian met en cause un inspecteur de police de « Windy City » (surnom de Chicago), gangrenée par la violence, comme l'illustre une page du Chicago Tribune consacrée aux crimes commis dans la troisième ville des Etats-Unis. A travers une série de documents, le quotidien britannique accuse Richard Zuley, qui fut inspecteur de police entre 1977 et 2007 (date de son départ à la retraite) et qui a aussi pratiqué la torture à Guantanamo.
Les « confessions » de Mohamedou Ould Slahi
Officier de réserve dans la marine américaine, Richard Zuley a débarqué à Guantanamo à la fin de 2002 (il y est resté jusqu'en 2004) et s'y est montré particulièrement efficace dans son travail de tortionnaire.
Il aurait obtenu des « résultats » à coup de menaces, d'entraves prolongées, suspension par des menottes, chantage, etc. Un rapport interne sur les techniques employées à Guantanamo par Zuley, cité dans un livre intitué The Terror Courts : Rough Justice at Guantanamo Bay (Yale University Press) le décrit comme un « zélote » adorant tourmenter les détenus.
Le quotidien détaille le traitement subi par un certain Mohamedou Ould Slahi. Ce Mauritanien détenu à Guantanamo depuis près de treize ans rapporte dans un journal intime comment il a été torturé et poussé à de faux aveux. Le Guardian en publie de larges extraits.
Mohamedou Ould Slahi, arrêté en 2001 en Mauritanie avant d'être emprisonné successivement en Jordanie, en Afghanistan et à Guantanamo, décrit ce qu'il appelle sa tournée mondiale de la torture et de l'humiliation. Le Mauritanien de 44 ans, membre d'Al-Qaida, affirme dans son manuscrit – écrit en anglais – qu'il a été torturé, battu, humilié et menacé de mort à de nombreuses reprises.
Erreurs judiciaires
A Guantanamo, Richard Zuley n'en était pas à son coup d'essai, relève le Guardian. Il a utilisé – avec certains de ses collègues – les mêmes techniques pour obtenir des aveux contre des individus issus des minorités ou de milieux défavorisés, avant son séjour à la prison américaine située sur l'île de Cuba.
En 1990, Lathierial Boyd l'a appris à ses dépens. Connu de la police pour trafic de drogue, il avait changé de vie et était devenu agent immobilier. Suspecté et arrêté, il a passé vingt-trois ans en prison pour un double meurtre qu'il n'a pas commis avant d'être libéré, faute de preuve. Les autorités judiciaires de l'Illinois ont décidé de reprendre certaines affaires conduites par Richard Zuley et d'examiner la validité des aveux qu'il a obtenus.
Détention au secret
L'enquête révèle aussi que pour interroger des suspects et obtenir des aveux, ce « bad lieutenant », comme le qualifie le Guardian, les a emmenés, en dehors de toute procédure – recours à un avocat, etc. – dans un bâtiment situé à l'ouest de Chicago ; une pratique qui rappelle celle des prisons secrètes de la CIA.
Dans ce bâtiment, situé à Homan Square, et qui abrite normalement les unités de lutte contre les gangs, le trafic de drogues ou les crimes sexuels, les détenus ont pu disparaître quelques heure pour être interrogés au mépris des droits de la défense.
Richard Zuley et ses collègues y ont allègrement violé les cinquième et sixième amendements de la Constitution des Etats-Unis d'Amérique. Le cinquième amendement fait partie de la Déclaration des droits et vise à protéger les citoyens contre les abus de l'autorité du gouvernement dans une procédure juridique. Il garantit la sécurité juridique, empêche d'être jugé deux fois pour le même crime, et empêche qu'une personne ait à témoigner contre elle-même. Le sixième amendement énonce les droits concernant les poursuites pénales.
Saisie du comité de L'ONU sur la torture
Le Guardian évoque le cas de Brian Jacob Church, arrêté à l'occasion de manifestations lors du sommet de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) de Chicago du mois de mai 2012. Il avait été accusé (avec Jared Chase et Brent Vincent Betterly, connus sous les surnom des NATO 3 – « les trois de l'OTAN ») de préparer une action terroriste.
Il a été maintenu enfermé dans une cage métallique, menotté, avant d'être transféré vers un autre poste de police et de se voir notifier les charges retenues contre lui. Il est resté deux ans et demi en prison avant de voir abandonnées les accusations de terrorisme.
En novembre, des représentants du collectif Chicago Torture Justice Memorials Project et We Charge Genocide (« nous dénonçons le génocide »), accompagnés des parents de Michael Brown, sont allés à Genève pour remettre un dossier sur les violences commises par la police à Chicago, aux Etats-Unis et à Guantanamo au Comité de l'ONU sur la torture.
Le précèdent Jon Burge et le coût pour la collectivité
La police de Chicago avait déjà été confrontée à des accusations de torture. Un ancien commissaire, Jon Burge, a utilisé des techniques d'interrogatoire – électricité, coups, etc. – apprises pendant la guerre du Vietnam avant d'être renvoyé de la police en 1993, pour avoir torturé le meurtrier d'un policier. Il n'a été condamné qu'en 2010, non pour ses actes, mais pour avoir menti sous serment sur l'usage de la torture.
Le Guardian rappelle qu'entre 1976 et 2011, l'Illinois a connu 85 erreurs judiciaires, dont 55 pour Chicago, qui ont coûté aux contribuables 214 millions de dollars, selon les estimations de l'association Better Gov. Le seul cas Jon Burge a coûté 64 millions de dollars à Chicago. Si l'on ajoute à cette somme sa retraite, les autres charges supportées par la ville, le comté, l'Etat de l'Illinois et l'Etat fédéral, les frais sont de l'ordre de 102 millions de dollars.
Le Monde