"Saa", 18 ans, faisait partie des 270 lycéennes qui ont été enlevées le 14 avril dans leur école de Chibok, dans le nord-est du Nigeria. Réfugiée depuis aux États-Unis, elle raconte à France 24 comment elle s’est échappée la nuit du rapt.
Dans la nuit du 13 au 14 avril 2014, plus de 270 lycéennes de l’école de Chibok, dans l’État du Borno, dans le nord-est du Nigeria, étaient kidnappées par des membres de la secte Boko Haram. Leur enlèvement a suscité un émoi international et le lancement d’une campagne popularisée sur les réseaux sociaux sous le nom de #bringbackourgirls.
Dix mois après, les autorités nigérianes sont toujours sans nouvelles des jeunes filles, soupçonnées d’avoir été abusées et mariées de force aux combattants islamistes. Une cinquantaine ont réussi à s’enfuir dans les heures et les jours qui ont suivi le rapt. Parmi elles,"Saa", 18 ans, qui a trouvé refuge aux États-Unis où elle poursuit ses études.
Le 24 février, elle a participé au sommet de Genève sur les droits de l’Homme et la démocratie. Craignant des représailles pour sa famille, toujours au Nigeria, elle a témoigné auprès de France 24 sous un faux nom et le visage dissimulé derrière de grosses lunettes.
France 24 : Que s’est-il passé la nuit de l’enlèvement ?
Saa : Nous étions en train de dormir dans notre internat, quand on a entendu les coups de feu de Boko Haram, à Chibok. Nous sommes alors sorties de nos chambres pour être ensemble, on ne savait pas quoi faire. Puis, les hommes de Boko Haram sont arrivés dans l’école. Ils nous ont dit de rester groupées.
Ensuite, ils sont allés dans le quartier du personnel de l’école et ils ont pris les vélos de nos professeurs. Quand ils sont revenus, nous pensions qu’il s’agissait de nos professeurs et de gardes de sécurité venus pour nous sauver. Mais c’était Boko Haram. On avait entendu parler d’eux et on avait peur qu’ils nous frappent, voire nous tuent. Alors on les a suivis quand ils nous ont emmenées vers les salles de classe. Là, ils ont commencé à tout brûler avant de nous faire sortir de la cour et attendre sous des arbres. Des camions sont arrivés et ils nous ont forcées à monter dedans, en menaçant de nous tuer si on refusait.
Comment avez-vous fait pour vous enfuir ?
Il y avait beaucoup de voitures. Certaines des filles étaient en tête de convoi et avec ma copine, on était au milieu. Plusieurs filles voulaient s’échapper et j’en ai vu deux sauter du camion. Alors j’ai dit à mon amie que j’allais faire pareil : "Je préfère mourir et que mes parents enterrent mon corps plutôt que d’aller avec Boko Haram". Mon amie a accepté de sauter avec moi.
Nous nous sommes retrouvées dans la forêt en pleine nuit. Mon amie était blessée à la jambe et elle ne pouvait plus marcher. Alors, on a passé la nuit dans la forêt et le lendemain matin, je suis allée chercher de l’aide. J’ai rencontré un berger, au début il ne voulait pas nous aider. Mais finalement, il nous a emmenées sur son vélo jusqu’au village voisin. De là, un homme nous a ramenées chez nous.
Avez-vous ensuite subi des menaces de la part de Boko Haram ?
Ma famille et moi nous étions en danger parce que je m’étais enfuie. Les hommes de Boko Haram nous avaient menacées, nous disant que si nous allions dans n’importe quelle école du Nigeria, ils nous retrouveraient et tueraient nos familles. Nous sommes en insécurité au Nigeria. Boko Haram a attaqué l’endroit où vit ma famille. Elle a pu s’échapper et maintenant elle est en sécurité. Mais dans ma ville, ils ont tué beaucoup de monde, brûlé les écoles et les églises.
Vous pensez que le monde n’a pas réalisé à quel point Boko Haram était dangereux ?
Je ne sais pas mais depuis l’enlèvement, Boko Haram a multiplié les exactions. Dans l’État du Borno, ils tuent de plus en plus de gens, ils brûlent les églises et aucune action sérieuse n’a été entreprise. Les filles de chibok, plus personne n’en parle. Les gens les ont oubliées. Ça fait presque dix mois maintenant et quasiment rien n’a été fait. Nous n’avons aucune nouvelle, personne ne sait dans quelles conditions elles sont détenues ni même où elles se trouvent.
Pensez-vous que les filles de Chibok ont été utilisées dans des attaques-suicides ?
C’est possible… Boko Haram utilise des filles comme bombes-humaines. Mais il ne s’agit pas forcément des filles de Chibok. Ils ont enlevé beaucoup d’autres filles.
Un retour au Nigeria est-il envisageable pour vous ?
Aujourd’hui, je ne suis pas en sécurité au Nigeria. Mais il faudra bien que j’y retourne parce que ma famille est toujours là-bas. Je veux y retourner pour aider ma famille, mon peuple et mon pays.
Que voulez-vous faire comme métier plus tard ?
Je veux être médecin.
Rêvez-vous encore de la nuit du 14 avril 2014 ?
Quand je venais tout juste de m’échapper, j’avais tout le temps peur. Je rêvais en permanence de Boko Haram en train de me capturer et de me poursuivre. Aujourd’hui, je prie pour oublier ce qu’ils ont fait et je n’en rêve plus. Mais quand je me vois ici, en sécurité, à poursuivre mes études, et que je pense à mes amies qui sont toujours en captivité, je me dis toujours qu’il faut les sauver pour qu’elles puissent continuer leurs études comme je le fais.
France24