Craintes pour l'inestimable patrimoine archéologique d'Irak menacé par l'EI

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sam, 2015-02-28 13:41

 Une vidéo montrant des jihadistes jubilants réduire en miettes des sculptures pré-islamiques en Irak a provoqué un tollé général et suscité vendredi les craintes que d'autres trésors de l'un des plus anciens patrimoines au monde ne soient détruits.

A coup de marteaux-piqueurs, les extrémistes du groupe Etat islamique (EI) ont détruit à Mossoul, la deuxième ville d'Irak sous leur contrôle depuis juin 2014, des splendeurs archéologiques, dont un immense taureau ailé assyrien de la porte de Nergal, dont un jumeau est exposé à Londres.

En quelques heures, les comparaisons avec la destruction en 2001 par les talibans des bouddhas de Bamiyan en Afghanistan se sont multipliées, comme les appels à tout faire pour protéger le patrimoine.

Evoquant un "nettoyage culturel", la directrice générale de l'Unesco Irina Bokova a réclamé vendredi à la Cour pénale internationale (CPI) de se saisir du cas.

"Cette attaque est bien plus qu'une tragédie culturelle (...) elle alimente le sectarisme, l'extrémisme violent et le conflit en Irak", avait-elle déclaré jeudi, appelant à une réunion urgente du Conseil de sécurité de l'ONU.

Le président français François Hollande a accusé les jihadistes de vouloir "détruire tout ce qui est humanité" alors que le musée du Louvre à Paris a dénoncé des destructions "barbares".

- 'Favoriser l'idolâtrie' -

La France est l'un des principaux membres de la coalition internationale menée par les Etats-Unis contre l'EI, un groupe ultradical sunnite qui a profité de l'instabilité en Irak et de la guerre en Syrie pour s'emparer de vastes régions où il multiplie les atrocités, dénoncées comme des crimes contre l'humanité par l'ONU.

Pour l'organisation jihadiste, statues, tombeaux et représentations "favorisent l'idolâtrie" et méritent donc d'être détruits.

"Fidèles musulmans, ces sculptures derrière moi sont des idoles pour les peuples d'autrefois qui les adoraient au lieu d'adorer Dieu", déclare face caméra un jihadiste dans la vidéo, dressant le parallèle avec la destruction par le prophète Mahomet des statues des idoles à la Mecque.

Dès juillet, les combattants de l'EI avaient détruit à Mossoul (nord), la tombe de Jonas et le sanctuaire du prophète Seth -considéré comme le troisième fils d'Adam et Eve dans les traditions juive, chrétienne et musulmane.

Toutes les jurisprudences "s'accordent sur le fait que l'usage d'une mosquée construite sur une tombe est contraire à l'islam", avaient-ils déclaré, une assertion contestée par de nombreux spécialistes.

"Les antiquités et les statues du musée de Mossoul ne sont pas des idoles divines, mais des statues de rois, d'animaux, d'oiseaux", explique Radwan al-Sayyed, professeur de sciences islamiques à l'Université libanaise. "Et quand bien même il s’agirait de statues de dieux, elles sont dans un musée, et le Coran conseille d'en tirer des leçons (...)".

L'instance représentant l'islam auprès des autorités égyptiennes, Dar al-Ifta, a aussi condamné les destructions. "Ces antiquités se trouvent dans tous les pays conquis par les musulmans, et les compagnons (du prophète) n'ont pas ordonné leur destruction".

Le chef de la Ligue arabe a lui décrié "l'un des crimes les plus abominables commis en notre temps contre le patrimoine de l'Humanité".

- 'Capables de tout' -

Si parmi les statues détruites figurent des répliques d'œuvres mises en sécurité depuis longtemps dans des musées occidentaux, certaines étaient uniques, dont le colossal taureau ailé assyrien.

Après l'avoir réduit en miettes, les jihadistes auraient lancé aux gardiens du musée que la ville de Nimroud, joyau archéologique à une centaine de km plus au sud, était leur prochaine cible.

"C'est l'une des plus importantes capitales assyriennes, on y trouve des bas-reliefs et des taureaux ailés... Cela serait un véritable désastre", se désole Abdelamir Hamdani, un archéologue irakien de l'Université Stony Brook de New York, joint au téléphone par l'AFP.

"Je crains qu'ils ne prévoient plus de destructions", abonde Ihsan Fethi, un spécialiste du patrimoine irakien, basé en Jordanie. "Ils sont capables de tout, ils sont capables de dire que les temples de Hatra sont païens et de les faire sauter", explique en référence à une ville au sud de Mossoul, inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco.

Mais protéger ces sites -Nimroud, Hatra, et tous ceux situés dans les territoires conquis par l'EI- est une tâche presque impossible, estime Mounir Bouchnaki, directeur du centre régional arabe pour le patrimoine mondial, basé à Bahreïn.

"Si vous n'avez pas des gens sur le terrain, c'est très difficile, et on risque même de contribuer à la destruction".
 

AFP