Que devient Cheikh ould Mkheitir, condamné à mort pour apostasie?

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sam, 2015-03-07 08:15

En Mauritanie et au-delà, l’annonce de la condamnation à mort pour apostasie de Mahomet Cheikh Ould Mkheitir avait choqué le 24 décembre dernier, à la veille de Noël. L’affaire a fait les gros titres… avant de retomber dans l’oubli. Le jeune Mauritanien, en prison depuis plus d’un an déjà, attend le verdict de son procès en appel.

Mohamed Cheikh ould Mkheitir, 30 ans, est un Maure blanc ou Beidane, comme on dit en Mauritanie. Détenteur d’une licence en gestion, il occupait un petit emploi de comptable dans la ville portuaire de Nouadhibou, la capitale économique du pays, quand il a été arrêté le 2 janvier 2014 par la police.

Son tort ? Avoir publié sur Facebook un texte en arabe intitulé « La religion, la religiosité et les forgerons », dans lequel il dénonce la société de castes qui prévaut toujours en Mauritanie – comme ailleurs en Afrique de l’Ouest chez les grands groupes ethniques mandingues, peuls, wolofs et soninkés.

Dans ce texte, traduit et publié par le site Opinion Internationale, il se livre à une analyse comparée des pratiques courantes des sociétés en se basant sur une étude historique dont il ressort que l’attitude présentée comme sectaire et tribaliste du prophète Mahomet envers les juifs d’Arabie du VIIe siècle ressemblerait à celle qui prévaut dans les zwaya (centres d'enseignement religieux construits près des lieux saints) vis-à-vis des forgerons dans la société maure aujourd’hui.

Des critiques qui provoquent un tollé

Repérées par des islamistes qui veillent sur les réseaux sociaux en Mauritanie, ses critiques provoquent un tollé, parce que le jeune homme remet en cause l’organisation sociale en y mêlant le nom du Prophète. Bien qu’éduqué et fils de préfet, le jeune Ould Mkheitir n’en reste pas moins issu de la caste inférieure des forgerons, qui regroupe les artisans et les griots en Mauritanie. Cette caste forme un groupe intermédiaire entre les nobles et les anciens esclaves – des « affranchis » qu’on appelle les Haratines en Mauritanie.

La rue avait manifesté après son arrestation, réclamant la mort du « blasphémateur ». Un homme d’affaires de Nouadhibou avait même proposé la somme mirobolante de 10 000 euros à quiconque se chargerait de l’assassiner – sans être inquiété par les autorités. Son premier avocat, Mohameden Ould Icheddou, abandonne sa défense après avoir reçu des menaces de mort, dirigées contre lui et sa famille.

En mars, une manifestation réclamant sa mort se déroule à Nouakchott, et le président Abdel Aziz rappelle alors que la République islamique de Mauritanie « n’est pas laïque » et que « l’islam et le prophète Mohamed, paix et salut sur lui, sont au-dessus de tout ». Et de promettre que le crime ne restera pas impuni…

L’accusé clame son innocence mais persiste sur le fond

L’accusé ne cesse de crier son innocence. Il a fait amende honorable lors de son procès et exprimé son repentir. Ce dont la justice ne fait aucun cas, se montrant d’une grande sévérité. Condamné à mort le 24 décembre pour apostasie – ce qui suppose d’avoir publiquement renoncé à la religion musulmane – il dément avoir tourné le dos à l’islam. « A tous ceux qui ont sciemment mal compris mon propos, vous savez bien que je n’ai pas blasphémé à l’encontre du prophète (paix et salut d’Allah sur lui) », écrit-il dans un second texte avant sa condamnation.

Mais sur la question de fond, il persiste et signe. « Mes frères forgerons, écrit-il, nous devons être totalement conscients du fait que le destin nous a conduits à être les citoyens de cette terre. Nous devons par conséquent défendre notre droit à une citoyenneté pleine et à une vie décente. »

« Une partie de l’opinion estime que les propos qu’il a tenus doivent faire l’objet de la sanction suprême, pour qu’ils ne se reproduisent pas », explique l’un des avocats aujourd’hui en charge de son dossier. Cet homme préfère ne pas être nommément cité puisque la procédure d’appel est toujours en cours. « Même des gens qui ne se réclament pas de la mouvance intégriste prennent des positions similaires.

Ce qui se joue, en filigrane, c’est le combat contre les inégalités dans notre société. C’est tout l’enjeu de sa prise de position, qui était maladroite. Maintenant, c’est une occasion d’étouffer toutes ces revendications… »

Un jeune homme délaissé par sa famille

En attendant que la Cour d’appel se saisisse du dossier et se prononce, ce qu’elle tarde à faire, Mohamed Cheikh Ould Mkheitir reste en prison où il n’a pas de contact avec sa famille. Il a été licencié par son employeur et la pression sociale est telle que sa propre mère, qui avait obtenu des dérogations pour pouvoir lui rendre visite, a cessé de le faire.

Elle aurait quitté la ville de Nouadhibou pour cause de maladie, indique l’un de ses avocats. Son père, en tant que haut fonctionnaire, préfet à Nouadhibou, ne veut pas être mêlé à cette affaire. Quant à la femme d’Ould Mkheitir, elle a été rappelée dans son village par sa famille et le mariage a été annulé en raison du crime d’apostasie.

« La peine de mort n’est plus appliquée en Mauritanie depuis 1987, et elle ne le sera sans doute pas non plus dans ce cas », se rassure de son côté un journaliste mauritanien qui ne veut pas non plus être cité dans cette « affaire compliquée ». Elle relève, selon lui, « plus de la politique intérieure, avec un tribunal qui veut donner des gages aux salafistes – une tendance en plein essor dans notre pays, comme dans tout le monde arabo-musulman ».

Un problème de politique intérieure

Les organisations des droits de l’homme ne s’y trompent pas. L’affaire Mohamed Cheikh ould Mkheitir n’est que l’arbre qui cache la forêt. « Cette condamnation, la première pour " apostasie " en Mauritanie depuis l’indépendance, constitue un recul de la tolérance et démontre à quel point les questions de caste, de religion, d’esclavage et donc de démocratie sont tabous en Mauritanie.

Nous observons un durcissement du pouvoir et de la société contre toutes les voix contestataires sur ces sujets », a déclaré Me Fatimata Mbaye, présidente de l’Association mauritanienne des droits de l’homme, ancienne vice-présidente de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et avocate des militants anti-esclavagistes.

Il n’empêche : une partie de la société civile mauritanienne reste mobilisée pour défendre Ould Mkheitir. Quatre associations, dont l’Association mauritanienne des droits de l’homme (AMDH), ont lancé dès le 24 janvier 2014 sur Change.org une pétition pour réclamer la libération du détenu d’opinion. Elle n’a été signée à ce jour que par 3 300 personnes…

De Nouadhibou à Rosso

Le jour-même où Ould Mkheitir était condamné, le 24 décembre dernier, le parquet de la ville de Rosso, à l’autre bout du pays, a requis cinq ans de prison ferme contre Biram Dah Abeid et sept autres militants de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA-Mauritanie), arrêtés en novembre pour « troubles à l’ordre public ». Biram Dah Abeid combat depuis 2008 un esclavage persistant en Mauritanie où il n’a été aboli qu’en 1981.

Après avoir reçu le prix des droits de l’homme des Nations unies en 2013, ce fils de Haratine s’est présenté à la présidentielle en 2014 face au général Mohamed Ould Abdel Aziz, parvenu au pouvoir après un coup d’État en 2008.

Ce dernier a été réélu avec 82% des voix tandis que Biram Dah Abeid, qui reste marginal sur l’échiquier politique, a récolté près de 9% des suffrages, en l’absence de tous les autres leaders de l’opposition qui ont boycotté le scrutin. Certains, en Mauritanie, reprochent à Biram Dah Abeid de n’avoir pas pris position pour défendre le jeune Ould Mkheitir.

Par Sabine Cessou
 

 

RFI