"L’inexpérience" de Hollande en Afrique, par l’Académicien Jean-Christophe Rufin

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dim, 2015-04-05 17:52

Ancien ambassadeur de France au Sénégal de 2007 à 2011, académicien et écrivain, Jean-Christophe Rufin pointe l'absence de réelle coopération entre la France et l'Afrique sous la présidence de François Hollande.

Mondafrique. Dans une interview au magazine Jeune Afrique en 2012 vous expliquiez que le manque d’expérience africaine de François Hollande pouvait être un avantage après les pénibles compromissions africaines des socialistes sous l’ère Mitterrand. Comment interprétez-vous l'intérêt soudain du président pour ce continent où il est intervenu, au Mali, en Centrafrique ?

Jean-Christophe Rufin. Ce retournement s'est fait de manière assez incontrôlée, sans réelle connaissance du continent, avec le Mali comme point de départ. A mon sens, l’intervention y était plutôt légitime compte tenu de l’agression caractérisée qui était en cours contre un régime proche de la France demandeur de secours. En revanche l’emploi, déjà à ce moment là, de toute la phraséologie de la « guerre contre le terrorisme » montrait l’inexpérience de Hollande. C’était imprudent et laissait craindre une sorte de croisade mondiale sur ce thème.

Puis, il y a eu l’épisode de la Centrafrique où nous avions beaucoup moins de chances de stabiliser le territoire. Hollande a donné l’impression de vouloir rejouer le coup du Mali qui lui avait été favorable en terme de popularité en France. Enfin, même si elle sort du champ africain, la troisième intervention en Irak se situe dans la continuité des deux autres. C’est un interventionnisme toujours tourné vers l’intérieur : il faut parer une possible menace contre la France. Pas question en revanche d’assumer une quelconque forme d’interventionnisme politique. Quand Blaise Compaoré a été déstabilisé, il a demandé de l’aide à la France mais a vite compris qu’il n’obtiendrait rien.

Mondafrique. Ce dispositif s’appuie sur des alliés controversés comme le Tchad qui accueille le commandement de l’opération Barkhane.

J-C Rufin. Oui, certains chefs d’Etat africains à l’image de Mohamed Ould Abdelaziz en Mauritanie ou d’Idriss Déby au Tchad ont compris que face à une France qui se désintéresse de l’Afrique, il fallait se prévaloir d’une plus value militaire. La Mauritanie est aujourd’hui le porte-avion français dans cette région. La base d’Atar, à l'ouest du territoire, qui concentre l’essentiel de notre aviation dans la zone a rapidement constitué une alternative par rapport à la base de Dakar. Elle a l’avantage d’être dans une partie reculée à l’abri de l’opinion publique. Aziz s’est montré aussi extrêmement coopératif sur le terrain du renseignement. Idriss Déby lui, accueille plutôt les contingents au sol et constitue un solide appui diplomatique.

Mondafrique. Vous avez été ambassadeur au Sénégal de 2007 à 2010. Quelles relations entretient ce pays avec la France aujourd’hui?

J-C Rufin. Le Sénégal a complètement disparu des écrans radars français. Dans cette nouvelle configuration régionale centrée sur la dimension sécuritaire, Dakar ne s’est pas rendu indispensable. Macky Sall paye notamment les choix de son prédécesseur Abdoulaye Wade qui avait décidé de réduire la présence militaire française dans le pays. Depuis, les dirigeants de ce pays souffrent d’une sorte de manque de confiance de la part du personnel politique français.

Le régime en place est par ailleurs très immobiliste, prend peu d’initiatives et se montre défensif sur de nombreuses questions. Au point que le procès du fils Wade occupe encore l’essentiel de la vie politique du pays près de trois ans après l’élection de Macky Sall. Au début de son mandat, ce dernier avait pourtant beaucoup encouragé l’intervention au Mali avec lequel le Sénégal a une longue frontière commune. Car même si le poids des confréries freine la montée de l’islamisme radical, le pays est vulnérable, notamment dans l’est où l’on craint le passage de groupes terroristes. Le Sénégal subit par ailleurs le contre coup de la guerre en Guinée. La situation en Casamance demeure également instable. L’affolement autour de l’unique cas d’Ebola décelé dans le pays a porté un coup dur au tourisme. Bref, Dakar est dans une zone de turbulences.

Mondafrique. Dans l’entourage de Hollande, les militaires ont une influence considérable. Quel rôle joue encore la diplomatie en Afrique de l’ouest ?

J-C Rufin. Les autorités ont surtout privilégié la nomination de diplomates juniors et de personnalités "swahilistes" dont certaines connaissent bien souvent le Soudan, l’OUA mais peu l’Afrique de l’Ouest. A l’arrivée de Hollande il y avait une telle volonté de rompre avec la Françafrique que toute compétence dans ce domaine était immédiatement soupçonnée de connivence.

Mondafrique. Sur le plan de la coopération au développement, le Sahel reste le premier bénéficiaire des investissements de l’AFD. Pourtant, on ne note pas d’amélioration visible dans ces pays qui restent en bas du classement de l'Indice de développement humain (IDH). En 2012, Laurent Fabius avait par ailleurs lancé le concept de "diplomatie économique" censé soutenir les entreprises françaises, notamment sur les marchés africains, et attirer vers notre pays des investissements créateurs d'emplois. Qu'en est-il ?

J-C Rufin. La situation sur le terrain africain est très difficile. Entre la déstabilisation du Nigéria, Ebola, la chute des cours du pétrole, les initiatives économiques ont bien du mal à percer. De son côté, l’Afd souffre d’un manque de dons important qui l’oblige à s’appuyer sur des prêts et donc se tourner vers des Etats solvables tels que les puissances pétrolières ou les pays miniers.

Par ailleurs, le ministère de la coopération a été transformé en ministère du développement confié dans un premier temps à l’écologiste Pascal Canfin. Ce dernier s’intéressait principalement aux problématiques liées au développement durable et aux négociations multilatérales sur le climat. L‘Afrique elle-même était vue à travers ce prisme. Le ministre faisait beaucoup de lobbying auprès des dirigeants africains sur le développement durable et considérait le continent comme un possible terrain d’expérimentation pour de nouvelles technologies à la pointe dans ce domaine.

Tout cela participait d’une volonté de déserter le sujet de la coopération dont on n’entend pas plus parler depuis la nomination d'Annick Girardin à tête du ministère suite au remaniement. C’est d’autant plus surprenant de la part d’un gouvernement socialiste. Le PS a en effet longtemps eu un fort attachement pour la coopération représentée par de fortes personnalités comme Jean-Pierre Cot par exemple. Concernant, « la diplomatie économique », je dirais que beaucoup de mots sont lancés mais que pas grand chose ne se passe.

Mondafrique. Ces quinze dernières années, les pays émergents se sont imposés sur le continent africain. La France n’est-elle pas en train d’être disqualifiée ?

J-C Rufin. Parmi ces pays, seule la Chine a une vraie politique africaine, certes purement économique, mais articulée et systématique. Historiquement, elle avait d’abord pour but de faire passer les pays africains hors de l’orbite de Taïwan. Les communautés chinoises expatriées ont par la suite assuré le relai sur place en concurrençant les petits commerces. Aujourd’hui, la puissance chinoise s’exprime à travers les grands contrats d’Etat sur l’énergie et les matières premières. Tout cela constitue un empilement cohérent et cynique, les considérations sociales et environnementales n’ayant aucun poids. Les africains ne sont pas dupes et se rendent compte que l’idée d’un échange « gagnant-gagnant » est en partie biaisée. Au Sénégal par exemple il y a eu une grande désillusion vis-à-vis des investissements chinois.

Mais d’autres pays, financièrement plus fragiles, n’y résistent pas, d’autant que Pékin se montre peu regardant sur la corruption. Malgré tout, je ne pense pas que cette montée en force disqualifie la France. Le niveau de la coopération chinoise est de mauvaise qualité et les africains restent demandeurs d’un partenariat économique avec Paris pour autant qu’on leur en offre un, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Selon moi, le vrai grand point est le destin des lycées français en Afrique qui restent notre dernier vrai bastion sur le continent. Il conditionne la formation des élites, les futurs liens économiques, le maintien du français comme langue de référence. Or aujourd’hui le maintien de ce réseau est menacé.

Mondafrique. Le procès de Karim Wade qui est toujours en cours pose la question des limites des procès à répétition contre les dirigeants africains et leurs familles. Ces procédures peuvent en effet bloquer les alternances et scléroser la vie politique. Comment sortir de cette impasse ?

J-C. Rufin. Il y a deux écoles. Celle, majoritaire, portée par la communauté internationale qui refuse l’impunité des autorités politiques. Et l’autre qui avait été notamment mise en avant par Mohamed Ould Abdallah, un diplomate mauritanien ancien haut fonctionnaire de l’ONU. Il avait avancé l’idée suivante : pour avoir de vraies alternances en Afrique, il faudrait un statut d’impunité des chefs d’Etat. C’est peut être exagéré mais on touche là à quelque chose de très vrai. Beaucoup de présidents s’accrochent au pouvoir par peur des sanctions. Cette logique perverse fragilise la vie politique africaine.

Dans le cas de Karim Wade c’est extrêmement particulier. On a l’impression de rejouer le scénario de la France et de l’Allemagne après la guerre de 1914 lorsqu’on disait « l’Allemagne paiera ». Depuis cinq ans au Sénégal, le discours général est : « Karim Wade rendra ce qu’il nous a volé ». Comme si cela allait résoudre tous les problèmes du pays. Or, il n’est jamais bon de s’installer dans une logique de réparations. Au Sénégal, celle-ci a en partie servi à calmer les attentes du peuple après l’alternance. Pour sortir de cette impasse il faut une justice indépendante qui pèse.

Mondafrique. Un autre chantier de taille sur le continent est la lutte contre la corruption. Comment pourrait-elle être améliorée ?

J-C Rufin. Les chefs d’Etat africains ont mis au point une dialectique subtile. En se mettant en avant comme des démocrates qui acceptent désormais le verdict des urnes, ils se sont en partie exonérés de questions sur leur honnêteté. Dans ces conditions, il est devenu plus difficile de contrer les abus.

Qui peut intervenir dans ce genre de cas ? C’est impossible pour les diplomates qui risquent de perdre leur poste et à qui on demande de ne pas faire de vague. Par ailleurs, la presse est rarement libre dans ces pays. De son côté, la Banque mondiale a des compétences en matière de lutte contre la corruption dont elle ne se sert pas suffisamment. En fin de compte, ce sont les représentants du FMI dont ce n’est pas le mandat principal qui se montrent les plus actifs dans ce domaine à travers la surveillance des comptes publics. Mais ils subissent des pressions extrêmement fortes, parfois des menaces physiques. Il n’existe pas d’instrument international équivalent de la CPI sur les questions de corruption. Voilà un chantier pour l'Union européenne ! En tant que bailleur le plus important des projets de coopération, elle pourrait être l’organisation la plus à même de prendre à bras le corps ce dossier. Tout seul, un ambassadeur français ne pèse pas. Mais si plusieurs ambassadeurs européens interviennent ensemble auprès d'un chef d'Etat, ils peuvent faire bloc. Ça se fait encore trop peu car l’Afrique subsaharienne est toujours considérée comme une zone d’influence française. Beaucoup de diplomates européens se montrent réticents à intervenir parce qu’ils ont peur d’être instrumentalisés, notamment par les réseaux de la "Françafrique".

Mondafrique. Quelles sont aujourd’hui les priorités des Etats-Unis dans cette zone ?

J-C Rufin. En Afrique, Washington a une préoccupation sécuritaire avant tout. Les Etats-Unis ont une politique d’encerclement du Soudan par exemple et ont fait de Djibouti une base stratégique. Ils sous-traitent les interventions au sol, notamment aux français, mais maintiennent tout de même un maillage conformément à leur propre agenda plus orienté vers le Moyen-Orient et la péninsule arabique. La coopération économique est très secondaire. Par ailleurs, les africains mettent facilement des bâtons dans les roues des ambassadeurs américains justement parce qu’ils ne pèsent pas en matière d’investissements. Et en général dans ce genre de cas, le département d’Etat américain se couche et rappelle l’ambassadeur.

Par Thalia Bayle

 

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