Justice en Mauritanie : L’impossible indépendance ?!

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jeu, 2015-04-16 11:04

Le Président de la République a préside la semaine dernière, une session du Conseil Supérieur de la Magistrature. Une cérémonie marquée par un geste symbolique de l’ancien bâtonnier de l’Ordre National des Avocats mauritaniens, MeBouhoubeini, qui a ôté sa robe d’avocat et l’a déposé sur un siège, en guise de protestation contre ce qu’il qualifie de «dérives de la justice enMauritanie». 

Pour sa part, dans son allocution, l’actuel bâtonnier, qui n’est pourtant pas réputé très radical vis-à-vis du pouvoir exécutif, n’a pas mâché ses mots pour dénoncer les nombreuses tares de la justice mauritanienne. En effet, domaine sensible s’il en est, la justice en Mauritanie est confrontée à plusieurs défis et connait d’énormes difficultés qui ont fini par ternir complètement son image au sein de la population. 

Dès l'indépendance l'organisation de la justice en Mauritanie a été marquée par une dualité qui sera à l’origine de nombreux contentieux par la suite : droit musulman/droit moderne, avec séparation des juridictions et l'existence de deux corps distincts : les magistrats et les cadis.

Ainsi, malgré plusieurs réformes, la justice n’a pu sortir du cercle vicieux dans lequel elle se trouve, d'abord victime d'une instrumentalisation politique, puis d'une crise multiforme (crise de confiance, crise d'autorité, crise de crédibilité, crise de moyens et crise de compétence...).

Appliquer les principes

La première des mesures à entreprendre – ou plutôt à traduire dans la réalité – pour améliorer l’image de la justice, est la consolidation de son l'indépendance par une application effective des textes réservant à celle-ci le statut de troisième pouvoir.

Cette application passe par la réhabilitation de ce pouvoir au sein des institutions étatiques, le respect de son rang protocolaire, la restauration de son autorité sur ses auxiliaires et l'amélioration des conditions de travail de ses représentants.

L'affirmation de cette indépendance passe aussi par la révision du statut, de la composition et du fonctionnement des certaines institutions concourant à cette indépendance, notamment le Conseil Supérieur de la Magistrature et la Cour Suprême. 

L'indépendance de la justice devrait être également assurée par la mise en œuvre stricte des principes de l'inamovibilité du magistrat, de son immunité et sa neutralité. Les garanties statutaires de cette indépendance devraient connaître une application plus rigoureuse respectueuse du rôle et du statut de la magistrature. 

Ensuite, il serait indispensable de doter le département de la justice des ressources humaines nécessaires à la réalisation de sa mission. Sur un autre plan, l'allégement des affaires traitées devant les tribunaux est un objectif qui ne peut que renforcer la justice. 

Cet allégement est garanti par certains modes alternatifs de règlement des différends dont il convient de promouvoir et de renforcer les structures qui en ont la charge. Ces modes alternatifs constituent un complément indispensable pour le bon fonctionnement du secteur de la justice et offrent une chance aux justiciables pour éviter les procédures judiciaires, par nature, relativement longues et coûteuses.

Outre le principe de l’indépendance de la justice, d'autres principes non moins importants, tels que l'égalité devant la justice, doivent régir l'activité judiciaire. Tant qu'elle constitue un monopole de l'Etat, la justice est un service public, peut être le plus éminent de tous, qui est géré par un ministère.

Comme tout service public, la justice est gouvernée par le principe d'égalité, ce qui signifie que toute personne a vocation à être jugée par les mêmes juridictions selon les mêmes règles, sans la moindre discrimination. 

Autrement dit, les justiciables se trouvant dans la même situation doivent être jugés par les tribunaux selon les mêmes règles de procédure et de fond. Ainsi il ne doit pas y avoir une justice de classe, l'une pour les pauvres, et l'autre pour les riches.

La justice face à ses innombrables défis

La justice semble perdre toute crédibilité aux yeux des populations mauritaniennes du fait de sa partialité et de sa vulnérabilité. Elle est soumise aux pressions de toutes sortes, tout particulièrement celles des autres administrations, de la politique et de l'argent.

De nombreux conflits opposent en effet les walis aux magistrats et plus particulièrement aux magistrats du parquet. Ces conflits naissent à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions soit par suite d'une méconnaissance des textes qui déterminent leurs prérogatives, soit par une interprétation abusive de ceux-ci. Très souvent pour se justifier, ils évoquent les règles juridiques qui déterminent et précisent leurs compétences.

Cette situation ne peut qu'affaiblir les organes de l'Etat. Il y a des principes constants qui consacrent l'indépendance de la justice et la répartition des fonctions de l'Etat qui découle de la constitution du 20 juillet 1991. Une bonne compréhension de ces principes permettra sûrement d'éviter les incidents nuisibles au bon fonctionnement de l'Administration.

Dans le fonctionnement de la justice, le pouvoir politique peut aussi se donner les moyens de traiter d'une certaine manière les affaires délicates de façon à contrôler le déroulement, voire l'issue du procès. C'est pourquoi, on admet que «la justice n'est jamais juste quand elle juge la politique». La politisation de la justice procède de la confusion totale des pouvoirs en Mauritanie

En effet, en dépit de la constitutionnalisation de l'indépendance du pouvoir judiciaire, la justice est étroitement dépendante, en pratique, du pouvoir exécutif détenu par le Président de la République dans les pays en voie de développement.

Par ailleurs, la pression de l'argent n'est pas moins forte et revêt une portée beaucoup plus générale, affectant l'égalité devant la justice ordinaire par opposition à la justice politique, encore que la distinction entre les deux ne soit pas bien nette. Elle s'inscrit dans le contexte global de la corruption généralisée qui gangrène l'Administration mauritanienne. "La politique du ventre", est aussi une attitude judiciaire en Mauritanie

Le souci d'améliorer leurs conditions matérielles conduit les magistrats à être plus attentifs aux arguments des plaideurs les plus nantis. Les auxiliaires de justice, et plus particulièrement, les avocats, ne sont pas en reste. Plutôt que de se donner la peine de plaider le droit d'une partie, ceux-ci préfèrent transiger sur le procès en faisant croire à leur client que c'est la seule solution possible.

Une telle justice est loin d'être égale pour tous, établissant une discrimination à l'avantage des plus fortunés et au préjudice des moins nantis qui représentent la plus grande partie de la population mauritanienne aux revenus dérisoires, voire inexistants.

Ainsi donc la célèbre phrase de Pascal aura survécu au temps : «Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de la cour, rendront blanc ou noir». L'on comprend dès lors la crainte légitime et la réserve des "misérables" mauritaniens à s'engager dans une aventure dont l'issue est incertaine, le procès étant perdu d'avance.

Sikhousso

 

L'Eveil Hebdo