Tourisme saharien - Maurice Freund : « Le pari, c'est de pouvoir repartir »

ENTRETIEN. Pionnier du voyage à bas coût et cofondateur de l'agence Point Afrique Voyages, Maurice Freund entend allier tourisme et développement dans une région emblématique dont il est amoureux : le Sahara.

À 75 ans, Maurice Freund ne décroche pas. Du Sahara, des peuples qui y vivent, et du tourisme. Sa recette pour donner un coup de pouce à des territoires déshérités. « Je pars en Mauritanie avec le général Marc Foucaud pour tenter de faire évoluer les zones rouges du ministère français des Affaires étrangères avant l'arrivée du président Macron », répond-il sur Messenger à notre énième relance pour un entretien, le 12 juin. Négocier avec les autorités françaises l'allègement des restrictions de voyages imposées pour des motifs sécuritaires, rien que ça !

En décembre 2017, son opiniâtreté a payé. Il a réussi à relancer des circuits touristiques dans l'Adrar, en Mauritanie. Un succès : environ 1 500 touristes ont répondu présent sur une période de trois mois. Et une renaissance pour Point Afrique Voyages, une compagnie charter qui a inauguré son premier vol à Gao, dans le nord du Mali, en décembre 1995. Émanation de la compagnie aérienne Point-Mulhouse créée à la fin des années 60 par une bande de copains alsaciens, Point Afrique, souvenez-vous, c'était ça : des vols à de tout petits prix au départ de la France pour des destinations un rien singulières : Gao, Agadez, Atar, Mopti, Tombouctou, Sebha, Tamanrasset, Djanet… Le Sahara à moins de 6 heures de Paris pour le prix d'un billet Paris-Marseille en TGV (en période de pointe…). Vols secs ou circuits organisés, Point Afrique (qui n'a rien à voir avec notre site, NDLR) s'est rapidement taillé la part du lion dans le monde des voyagistes spécialisés sur le Sahara. Au milieu des années 2000, quelque 70 000 personnes transitaient par ses avions.

La sécurité sera l'un des enjeux majeurs de l'élection présidentielle au Mali le 29 juillet prochain. © AFP/Henry Montgomery

 

En 2007, toutefois, l'assassinat de quatre touristes français en Mauritanie met un frein à cet enthousiasme. Puis la détérioration progressive de la situation sécuritaire au Sahel vient sonner le glas de l'aventure de Point Afrique. Toutes les destinations ferment en 2011. Une ultime tentative de liaison aérienne avec Faya-Largeau, au Tchad, est finalement douchée par l'attentat sur le site gazier d'In Amenas, en Algérie, en janvier 2013. L'émergence des groupes islamistes radicaux au Sahara, et en particulier dans ce nord du Mali qu'il connaît bien, Maurice Freund l'avait vue venir. « En 1990, quand je dirigeais Air Mali, je voyais arriver des wahhabites pakistanais financés par l'Arabie saoudite qui prenaient des vols pour Gao, Tombouctou. Ils partaient monter des ONG à Menaka ou à Kidal, et ils installaient des écoles dans des campements », se souvient-il, amer. La gorge se noue quand il évoque le Macina – éden verdoyant en bordure du fleuve Niger et symbole de la coexistence pacifique entre diverses ethnies –, une zone du centre du Mali passée, elle aussi, sous l'emprise des groupes armés. Malgré ce climat de violences et la dissémination de mouvements islamistes radicaux hors des frontières du Mali, Maurice Freund refuse de capituler. Le président de la coopérative Point Afrique nous livre sa vision du tourisme, et du rôle qu'il peut encore jouer au Sahara.

Le Point Afrique : Le redémarrage des vols de Point Afrique en Mauritanie s'inscrit-il dans un élan plus général de relance du tourisme dans ce pays ?

Maurice Freund : Oui, mais, au préalable, il y a eu tout un combat avec le Quai d'Orsay pour modifier le classement en zones rouges (formellement déconseillées) de certaines régions mauritaniennes. Cela s'est fait avec le concours du général Marc Foucaud, ancien commandant en chef de l'opération Serval au Mali. On s'est rencontrés en juin 2016 et on partageait le même constat sur les avancées de la Mauritanie en matière de sécurisation de son territoire. En 2014, en particulier, l'État mauritanien a engagé toute une série d'actions pour lutter contre le terrorisme, et consacré une partie significative du budget national à la Défense. Le programme de déradicalisation des djihadistes, par exemple, a été extrêmement bien conduit. On a donc mené un lobbying durant des mois au ministère français des Affaires étrangères en faveur de la révision des restrictions de voyages. Outre le général Marc Foucaud, on a aussi été appuyés par certains hommes politiques français, dont Jean-Marie Bockel (ex-maire de Mulhouse, ex-secrétaire d'État chargé de la Coopération et de la Francophonie, puis de la Défense et des Anciens Combattants sous la présidence Nicolas Sarkozy, NDLR).

Vous avez eu gain de cause puisque l'ancien ministre des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault a finalement annoncé, début avril 2017, le passage de certaines zones classées rouges (formellement déconseillées) en zones orange (formellement déconseillées sauf raison impérative)…

C'était un point essentiel, sans quoi les tour-opérateurs ne nous auraient pas suivis. Atar, Chinguetti ou encore Wadane, destinations autrefois très prisées des touristes dans l'Adrar (centre-nord), sont repassées en zone orange. À partir de là, Point Afrique a décidé de mettre en place une liaison aérienne Paris-Atar en décembre 2017. Le premier vol a eu lieu le 24 décembre. Tout le monde nous disait perdants et nous assurait qu'on n'arriverait pas à remplir nos avions. Mais, du 24 décembre 2017 au 24 mars 2018, on a enregistré 1 488 voyageurs uniquement sur la destination Atar. La demande était tellement forte qu'on a dû acheter 300 places supplémentaires à des compagnies régulières. En tout, ce sont donc 1 800 personnes qui ont participé à nos circuits en Mauritanie durant cette période.

Co-fondateur de Point Afrique voyages, Maurice Freund est un fin connaisseur et amoureux invétéré du Sahara. © DR

 

En 2017, le gouvernement mauritanien a abaissé le prix du visa de 120 à 55 euros – et à 40 euros pour les Africains. Quelles sont les autres mesures mises en œuvre par les autorités mauritaniennes pour attirer mais aussi pour rassurer les touristes étrangers ?

Le général Mohamed Ould Abel Aziz s'est tout d'abord engagé à partager les risques commerciaux de nos opérations à hauteur de 50 % lors du lancement des premières liaisons aériennes. C'est inédit, puisque ce risque incombe en général au tour-opérateur. Finalement, nous avons rempli les avions bien au-delà de 50 %, donc nous n'avons pas eu besoin de l'aide du gouvernement mauritanien. Par ailleurs, l'État mauritanien a travaillé avec le général Marc Foucaud sur la mise en place de systèmes d'intervention de l'armée mauritanienne dans le cadre de nos projets et cette collaboration a été exemplaire. La stratégie de protection comporte, par exemple, des survols d'avions, le suivi très discret de nos circuits par l'armée, des capacités d'intervention spécifiques pour neutraliser d'éventuels agresseurs ou encore la formation des guides qui encadrent nos séjours. On ne peut jamais affirmer que la sécurité est totale, car il y a toujours un risque de pépin, mais ce risque est devenu quasiment nul pour cette partie de l'Adrar et il est aujourd'hui moins important que dans certains pays qu'on ne qualifie pourtant pas de « dangereux ».

Vous étiez mi-juin à Nouakchott en compagnie du général Marc Foucaud dans le but de faire évoluer le classement d'autres zones rouges… Êtes-vous optimiste à ce sujet ?

Pour l'instant, cela ne se présente pas très bien. On a un projet de traversée en petit train, calqué sur l'itinéraire du train du désert, un train minéralier qui relie Zouerate, où se trouve la principale mine de fer de Mauritanie, à Nouadhibou. C'est un voyage très facile, mais qui se situe essentiellement en zone rouge. Malgré les mesures de protection qu'on pourrait instaurer en partenariat avec l'armée mauritanienne, l'administration française estime qu'elle a déjà consenti de gros efforts.

Pour l'instant, ce qui est essentiel, c'est que les activités qu'on a déjà développées ont permis à des centaines de personnes, des chameliers, des cuisiniers, des guides ou des aubergistes, de participer à la relance du tourisme. Nous partageons avec le général Marc Foucaud cette vision selon laquelle l'intervention militaire par la force, dans le cadre de la lutte antiterroriste, ne peut résoudre seule les problèmes si des actions sociales et économiques ne sont pas conduites simultanément dans les zones concernées. Or le tourisme est une des activités les plus faciles à développer.

Quel bilan économique tirez-vous de la reprise des séjours en Mauritanie ?

On a rempli les avions à 75 % pour la première saison et on a injecté 2,5 millions d'euros dans la région de l'Adrar, ce qui n'est pas trop mal pour une zone désertique. Chinguetti s'était vidée d'une partie de sa population ces dix dernières années, mais aujourd'hui des gens reviennent. Le tourisme crée des activités parallèles, comme la restauration, l'artisanat… Les chauffeurs, chameliers ou cuisiniers, en attente d'une relance économique après dix ans de privation, nous réservent un accueil très chaleureux, hors du commun. Jusque-là, nous n'avons enregistré aucune plainte de voyageur.

Pour Point Afrique, cette activité est-elle rentable d'un point de vue financier ?

La rentabilité n'est pas ce qu'on vise en priorité. Le pari, c'est de pouvoir repartir. Et, pour assurer ce projet, on a vendu tout notre patrimoine, qu'il s'agisse de bâtiments ou de terrains, pour une valeur d'environ 1 million d'euros. Nous ne sommes pas un tour-opérateur classique, mais une coopérative. Nous sommes plutôt issus de l'économie sociale. Si on s'intéresse au tourisme, c'est avant tout pour permettre à des populations qui vivent dans des zones déshéritées de rester sur place et de vivre dignement. Évidemment, on ne peut pas échapper à certaines contraintes économiques. Les opérations de la saison 2017-2018 ont été cofinancées par l'État mauritanien, ce qui signifie qu'il a compensé les pertes de sièges inoccupés. Le résultat est à zéro : on n'a rien gagné, mais on n'a rien perdu.

La saison prochaine, qui commence le 21 octobre prochain et s'arrêtera à la mi-avril 2019, nous projetons de voler avec la compagnie mauritanienne, et nous visons une offre de 4 000 places. Tous les tour-opérateurs français de l'aventure sont partie prenante. Certains avaient un peu hésité à nous suivre lors de la première saison, mais, sur 2018-2019, nous dénombrons 22 partenaires, dont Terres d'aventure, Nomade aventure, Comptoir du désert… La demande est là.

PROPOS RECUEILLIS PAR AGNÈS FAIVRE

Afrique.lepoint.fr

sam, 21/07/2018 - 10:18

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