Le président du conseil militaire au pouvoir au Niger, le général Abdourahamane Tchiani, est arrivé ce jeudi matin, 23 novembre 2023, à Bamako dans le cadre de sa première tournée effectuée à l'étranger depuis son arrivée au pouvoir le 26 juillet dernier, à l’issue d'un coup d'État militaire qui a renversé le président Mohamed Bazoum.
L'arrivée du Président du Niger à Bamako est intervenue quelques jours après l'information sur l'arrivée du nouveau chef de la milice Wagner et dix jours après l’annonce du gouvernement malien du rétablissement du contrôle sur la ville de Kidal, l'une des plus importantes cités du nord de l'Azaouad, zone de turbulences depuis des décennies.
Dans le Zoom Essahraa de cette semaine, nous examinons le rapport entre les deux visites avec la reprise ou la chute de Kidal (l'expression varie selon l'angle de vue : le pouvoir central considère qu'il s'agit d'une reconquête tandis que les rebelles Touaregs y voient une chute et peut-être même une occupation). Nous nous arrêterons également aux suites des deux évènements, la situation à Kidal et les visites alliées sur la situation au Mali, surtout ses dimensions liées à la région du Sahel.
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Course de lever de drapeau
Kidal revêt une grande symbolique dans l’histoire du conflit au nord du Mali :
✔️ C'est l'une des principales villes de la région, avec la ville historique de Tombouctou et Gao.
✔️ C'est précisément la capitale de la principale composante Touareg au nord, elle peut donc être décrite comme la capitale politique et militaire de la région qui s'est rebellée contre l'État central au début de 1962, demeurant depuis dans un état de va-et-vient avec cette citée tout au long des dernières décennies.
La République de l'Azawad, déclarée depuis Paris et Nouakchott, avait hissé, il y a onze ans ses drapeaux à Kidal, sans toutefois obtenir de reconnaissance internationale. Des évolutions rapides où la France est entrée en ligne pour soutenir l'armée malienne, sont survenues plus tard, brandissant les drapeaux de Bamako et ultérieurement ceux des Nations Unies, dont les forces de maintien de la paix avaient une base principale bases dans le nord du Mali, avant de se retirer il y a quelques semaines à la demande du conseil militaire au pouvoir à Bamako, conduisant à la lever des drapeaux de l'Azaouad à nouveau.
✔️ Dans une démarche qui en a surpris plus d'un, les forces maliennes soutenues par la milice Wagner ont tenu avec insistance à se déplacer rapidement vers le nord afin de hisser le drapeau malien non seulement sur les bases au-dessus desquelles flottaient les drapeaux des Nations Unies, mais également sur l'ensemble de la ville, qui a une grande symbolique pour les Touareg et leur coordination, dont les indications montrent sa volonté de reprendre un nouveau cycle d’activisme pour réaliser le « rêve azaouadien ». Ce qui s'est réellement produit, faisant l’objet d’une grande célébration à Bamako, la capitale, dont les observateurs avaient évoqué la possibilité de tomber aux mains de la coalition des rebelles et les groupes de violence dans le nord et le centre du pays.
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Ce qui s'est passé... sous deux angles...
L’événement de Kidal a une signification stratégique qui fait l’unanimité, mais avec une perception controversée entre les deux parties :
☑️ Pour le régime d’Assimi Goita à Bamako, la « reprise de Kidal » est la preuve de :
✔️ L’efficacité de la stratégie du Conseil Militaire à donner la priorité à l’aspect sécuritaire et restaurer l’unité territoriale.
✔️ La justesse de la décision d'expulser la France et les forces onusiennes et de rechercher l'aide de nouveaux partenaires (un signe qui réfère en premier lieu à la Russie et à son titre controversé, Wagner).
☑️ Du point de vue de la coordination des mouvements de l'Azawad :
✔️ Ce qui s’est passé est normal et s'est produit après une résistance légendaire qui a duré plus d'un mois et ce n'est pas la fin.
✔️ Ensuite, les Azawadiens estiment qui ce n’est pas le gouvernement malien qui contrôle aujourd'hui Kidal, mais plutôt la milice de Wagner (ou ses mercenaires, comme les appellent les déclarations azawadiennes, qui parlent aussi d'un rôle joué par la Turquie, en plus d’une large participation de ce qu'elle qualifie de mercenaires de Libye, de Syrie et d'Irak).
✔️ Il ressort de certaines déclarations azawadiennes que le contrôle de Kidal, bien qu'il ait une forte signification symbolique, elle n'est pas la même sur le terrain; Cela peut être compris comme une allusion ou à une nouvelle phase du conflit, qui pourrait inclure des escarmouches dans les villes ou leurs banlieues.
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Dans tous les cas...
Quiconque lit la situation au Mali dans la perspective d'une évaluation stratégique peut supposer que la reprise du contrôle de Kidal par le gouvernement central ne peut être isolée de données solides dans la région. Il semble également nécessaire d'anticiper son impact sur la région en général et sur la Mauritanie en particulier :
✔️ L'Algérie, parrain du plus important accord politique entre les parties à la crise au Mali, connaît un état d'apathie dans ses relations avec les mouvements azawadiens.
✔️ L'alliance russe dans la région (Mali, Burkina, Niger) a le souci de prouver que son ennemi juré, récemment expulsé de la région, la France, était celui qui donnait l'opportunité aux groupes violents d'étendre leur domination.
✔️ D'un autre côté, la France, qui dispose de nombreuses cartes à jouer dans la région, ne cédera pas facilement à la formation d'une réalité stable de puissances internationales dont la finalité implicite est l'hostilité envers Paris.
✔️ Les anciennes alliances renouvelées entre les mouvements touaregs avec leurs différents titres, et les alliances de ces mouvements avec les groupes Peuls du centre du pays et les mouvements arabes du nord-ouest, rendent la situation dans l'Azawad loin d'être stable, même si cela semble tel depuis un certain temps.
✔️ Quant à la Mauritanie, dont la position sur la situation dans l’Azawad a fait l'objet de « signes de colère » de la part des milieux proches du pouvoir central de Bamako, les effets de ce qui se passe méritent attention sous plusieurs angles :
☑️ Angle sécuritaire : en raison de la nature du chevauchement géographique et démographique, ce qui rend difficiles d’échapper au fort impact et à la grande influence entre les deux pays
☑️ Des exodes massifs croissants : On sait que la Mauritanie accueille actuellement des dizaines de milliers d'Azawadis (Arabes et Touaregs), ainsi que des habitants du centre, notamment les Peuls. Cela signifie que la situation au nord, qu'elle soit stable ou précaire, aura un impact sur la Mauritanie, qui est condamnée à garder dans son intérêt stratégique le dossier de l’Azawad et la situation au Mali et dans les différentes régions du Sahel.