L'Espagne n'est pas seulement un voisin limitrophe des pays de l'Afrique subsaharienne ou partageant une histoire commune avec un certain nombre de ces Etats, mais est également leur partenaire en termes économiques comme elle est, selon les calculs stratégiques , le pays européen le plus mieux indiqué et le plus disposé dans les circonstances actuelles à dialoguer avec ses voisins africains sur les considérations précitées et d’autres.
Dans le Zoom Essahraa de cette semaine, nous rouvrons le dossier des relations de l'Espagne avec ses voisins du Sud à la lumière de la visite attendue cette semaine du Premier ministre espagnol Pedro Sanchez à Nouakchott, Dakar et Banjul
La ligne d'immigration indirecte
Les rapports officiels espagnols révèlent une augmentation significative du nombre de migrants irréguliers en provenance des trois pays que la délégation espagnole visite dans le cadre de son actuelle tournée africaine. 22 304 clandestins sont arrivés dans les îles entre le 1er janvier 2024 et le 15 août courant, soit une augmentation de 126% par rapport à la même période de l'année dernière.
Les craintes des Espagnols se trouvent aujourd’hui accentuées, parce que les semaines à venir représentent généralement le pic de l'afflux de migrants à bord de pateras mortelles, autrement dit, l'année dont le second semestre vient de commencer battra des records d’arrivées de personnes en quête d’une vie meilleure dans ce que les migrants considèrent comme étant l’Eden européen.
Le Premier ministre espagnol se rend dans les pays ayant comme dénominateur commun :
✔️ le fait qu’ils constituent la première source de vagues d’immigration vers les îles Canaries, les plus proches de toute l’Europe des côtes mauritaniennes.
✔️ Ces Etats connaissent un état de stabilité politique par rapport à leur environnement bouillonnant. Les présidents des trois pays sont élus, contrairement aux autres Etats de la région qui sont gouvernés par des conseils militaires ayant des relations tendues ayant atteint pour la plupart le point de rupture.
✔️ Deux des trois pays (Mauritanie et Sénégal) ont récemment connu des élections présidentielles et la formation de gouvernements, ce qui fait que discuter avec ces pays la question de l'immigration et d'autres dossiers de partenariat revêt une dimension importante en termes de réexamen du partenariat.
✔️ Il est probable que les négociations au Sénégal soient les plus difficiles. Le nouveau gouvernement est arrivé au pouvoir porté par un jeune révolutionnaire rebellé contre les conditions qui ont conduit à la migration des jeunes d’une part et la Diaspora sénégalaise qui a joué un rôle fondamental dans l’arrivée au pouvoir du duo Bassirou -Sonko à la tête du pouvoir, d’autre part.
De plus, le Sénégal est le plus grand des trois pays, et ses jeunes sont ceux qui s’aventurent le plus à monter à bord des pirogues de la mort. Les médias rapportent ces derniers mois une augmentation du nombre de personnes se déplaçant par voie maritime de Dakar vers les îles espagnoles, en dépit de la longueur du voyage et la recrudescence considérable des risques comparativement aux voyages faits depuis les côtes mauritaniennes
Et les conduites de gaz liquéfié
Même si l'immigration est incontestablement le sujet le plus important de la visite du Premier ministre espagnol, la question du gaz est bel et bien présente. En effet le déplacement intervient :
✔avec le début imminent des exportations de gaz des champs communs entre la Mauritanie et le Sénégal,
✔ Un nouvel hiver frappe aux portes du continent alors que la guerre russo-ukrainienne fait toujours rage et que les craintes de complications accrues face à la possibilité d’une victoire de Trump s’accroissent menaçant de laisser l’Europe seule face à Poutine.
✔ La situation au Sahel devient de plus en plus complexe et le fossé entre les régimes militaires dirigeant un certain nombre de pays rebelles du Sahel et leurs voisins du nord de la Méditerranée s’agrandit,
Quelles perspectives..?
Il est probable que la visite n'apportera pas de percées qualitatives dans le cours des relations entre les pays d'Afrique subsaharienne et du Nord de la Méditerranée, malgré la spécificité de l'Espagne dans sa situation géographique et ses relations. Toutefois les faits stratégiques qui n'encouragent pas l’optimisme quant à une avancée décisive, semblent désormais plus clairs :
✔️ Les Européens recherchent pratiquement des gardes-frontières et proposent en échange des paquets de promesses peu attrayantes.
✔️ Parmi les pays concernés par la visite on compte ceux qui ne peuvent satisfaire cette ambition, ou n’en veulent pas du tout, ou veulent mais ne peuvent pas, ou dont la positon sur la carte ne leur permet pas de le faire.