Le cliché reste flou jusqu’à dans l'après-midi du samedi 1er octobre courant, dans la capitale burkinabé, Ouagadougou. Les tirs de balle se poursuivent dans les quartiers les plus chics de la capitale, "Ouaga 2000", et les nouveaux putschistes et leur prédécesseurs, arrivés au pouvoir il y a huit mois, s'échangent les accusations.
Ce qui est toutefois clair jusqu’à présent et très probable, faisant sortir dans les heures et les semaines à venir une image plus nette, est le fait, que ce pays qui s’est distingué ces dernières années, par la «stabilité notoire et les relation privilégiées » avec les groupes violents, s’est enlisé jusqu’au plus profond dans les titres brûlants du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest : tiraillements entre la France et la Russie, entre les groupes de violence, les régimes en place et les générations de putschistes.
Dans le Zoom hebdomadaire Essahraa, nous essayerons de nous approcher des détails ce portrait au pays de Thomas Sankara et de Blaise Compaoré ou le pays des « hommes intègres », comme les burkinabés aiment appelés leur pays, afin de cerner les identités des nouveaux dirigeants du pays, le contexte de leurs mouvements et leurs effets réels et attendus sur la situation dans la région du Sahel, secouée dans ses bords et au centre par des facteurs multiples et interdépendants.
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Même équipe, même coupe
Après une longue journée de tirs et de tension dans la capitale, Ouaga, les putschistes sont arrivés au bâtiment de la télévision, dévoilant leurs visages (deux seulement d'entre eux, si l'on veut être précis ; les autres étaient cagoulés et en état d’alerte).
Le communiqué "Numéro 1" a été lu. Paradoxalement, celui qui l'avait présenté et le même qui avait lu, il y a huit mois, le communiqué annonçant l'arrivée de celui qu’il renverse aujourd'hui : et pour les mêmes motifs à savoir la dégradation de la situation sécuritaire et le fait que le président déchu n’a pas tenu ses promesses
Le nouveau chef du coup d'État, qui est apparu hier sur le petit écran, n'était pas non plus un inconnu, le capitaine Ibrahim Touré. En effet, c’est l'un des compagnons de Damiba, avec qui il a planifié et exécuté le putsch du 23 janvier 2022, bénéficiant par la suite de promotions rapides dont la plus récente date de six mois, d’où il a orchestré son activisme pour isoler son "prédécesseur", avançant pour cela plusieurs arguments.
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Qu'y a-t-il derrière le putsch ?
Les nouveaux meneurs du putsch et ceux qui suivent la situation au Burkina Faso avancent plusieurs facteurs qu'ils considèrent être à l’origine du coup d’Etat :
- la dégradation continue de la situation sécuritaire : près de 40% de la superficie du pays échappe à tout contrôle gouvernemental, donc sous l’autorité de groupes armés.
La situation de la ville de « Djibo », la deuxième ville du pays et capitale de la région du Sahel, qualifiée de berceau de mouvements violents, représente l'expression la plus dangereuse de la détérioration de l'emprise du pouvoir. La ville vit dans une situation catastrophique, en raison du double étau dont elle fait l’objet, des forces gouvernementales anti-terroristes d’une part et des groupes armés, d’autre part. Des reportages font également état d'une situation humanitaire difficile qui frôle la famine dans la ville, dont la population est estimée à près d'un quart de million de personnes.!
- La deuxième raison, liée à son prédécesseur, est le fait que Damiba est préoccupé par les règlements politiques et la relation avec les politiques sur le statut de l'institution militaire, dont les membres souffrent de négligence et de leur faible armement, les mettant à la merci des groupes armés. Ces facteurs avaient représenté parmi d’autres, les arguments les plus importants pour justifier le coup d'État de Damiba contre le président démocratiquement élu "Kaboré".
L’’accélération au cours de ces dernières semaines des démarches visant à normaliser la situation de l'ancien président Blaise Compaoré sur la scène, après la fin du procès du siècle au cours duquel il a été reconnu coupable de l'assassinat de son ami et camarade Thomas Sankara, était par ailleurs un fait intriguant. Un retour marqué par un processus qu’on tenait à se conformer à la forme juridique, puisqu'il a reconnu les faits et présenté, dans sa volonté de clore le dossier, des excuses à la famille de son compagnon.
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.. Et quoi après…?
Le rapport des nouveaux putschistes au facteur le plus important de la bousculade dans la région, et peut-être dans le monde entier (Russie et Occident), reste jusqu'à présent l'absent le plus en vue, bien que certains indicateurs préliminaires poussent à l'hypothèse que la nouvelle génération des putschistes sera plus proches de Moscou que de Paris. Parmi ces indicateurs :
- Damiba a manifesté plus de coopération avec les organisations régionales et continentales et avec les pays de la région traditionnellement alignés sur l'axe français et occidental, ce qui s'est traduit par de nombreux points, dont le plus important a peut-être été l'accord doux sur une phase de transition qui devait conduire à la remise du pouvoir aux civils le 1er juillet 2024.
- Les camarades d'Ibrahim Traoré ont explicitement accusé Damiba de comploter pour revenir au pouvoir avec l'appui des forces spéciales françaises, disant que le secteur qui a connu de nouveaux tirs samedi soir est la zone où se trouve cette force française, avec un armement moderne et une opérationnalité élevée. Toutefois, Paris a très vite et formellement démenti ces accusations dans un communiqué publié par son ambassade à Ouagadougou.
En attendant que le portrait prenne sa forme définitive, on peut dire que la dégradation continue de la situation sécuritaire et l'escalade du conflit russo-occidental ainsi que la lutte d'influence entre les générations et la hiérarchie militaire, ont créé une situation, laissant ouverts les deux battants de la porte du pouvoir à la « deuxième génération » de coup d'État pour l’avènement de maîtres au pouvoir dans un nouveau Etat des pays du Sahel africain.