Tout récemment, une femme a dit avoir un enfant dans son ventre depuis neuf ans. L’explication en serait qu’il est ragged, « l’enfant endormi ».
S’appuyant sur les examens médicaux, les spécialistes sont formels quant à l’absence d’enfant dans son ventre. Cependant, elle y croit fermement et exhibe son ventre qui se met en mouvement face à son interlocuteur. On peut même voir une vidéo sur les réseaux sociaux qui montre le ventre de cette femme présentant une grosseur inhabituelle.
Comment comprendre ce phénomène ?
Il ne m’appartient pas d’interpréter l’histoire de cette femme que je ne connais pas. Je voudrais simplement rappeler des interprétations de ce mythe bien connu dans les traditions de notre société.
Il s’agit là d’une croyance qu’un enfant peut séjourner dans le ventre de sa mère bien au-delà de la durée de la gestation reconnue par la science. Ainsi, une femme peut accoucher normalement tout en soutenant que sa grossesse dure depuis plusieurs années. Et inversement, elle peut affirmer qu’elle est enceinte sans l’être biologiquement.
En médecine, on parle dans ce cas de « grossesse nerveuse ». Que désigne cette étiquette diagnostique? Une femme désirant une grossesse mais n’y réussissant pas parvient par un processus de conversion du psychique vers le somatique à une transformation passagère de son corps ainsi qu’à la disparition de ses règles. Les symptômes de conversion sont bien connus par les psychiatres, les psychologues et les psychanalystes, certaines personnes pouvant développer une paralysie, une cécité, une anesthésie d’origine psychogène sans que le corps soit affecté sur le plan organique. Il existe même des cas rares de déni de grossesse qui méritent d’être évoqués car ils montrent toute l’importance et la force des facteurs psychiques. Il s’agit d’une négation du fait d’être enceinte. La patiente ne présente pas de symptômes de grossesse, son ventre ne grossit pas et la gestation passe inaperçue de l’entourage. Le ragged représente l’inverse.
À quoi sert le mythe ?
Il permet à des femmes d’apporter une justification sur une grossesse inattendue, dissimulée, antérieure au mariage. Certaines peuvent y faire référence lorsque le mari est absent pour une longue période. On l’a vu lors des phénomènes migratoires et lors de guerres lorsque les hommes s’absentent durant des mois ou des années du foyer conjugal. Le ragged permet ainsi de ne pas accuser d’adultère une femme qui met au monde un enfant sans préjuger de la date de la conception. L’équilibre social s’en trouve protégé. Or, de nos jours, si les traditions perdurent, la législation change. Ainsi, au Maroc, la réforme de la Moudawana, du code de la famille, a tranché pour une durée de grossesse allant de six mois à un an.
L’œil du psychanalyste
Pour le psychanalyste, les symptômes du ragged relèvent d’un processus inconscient et se rattachent aux désirs refoulés en lien avec une grossesse attendue et imaginée. « L’enfant endormi » est porteur d’un symbolisme riche d’enseignement: on peut y voir, entre autres, le signe d’une présence de l’enfant avant son arrivée au monde, une présence dans le langage du désir de la mère. Cette croyance vient rappeler, s’il le fallait, non seulement le pouvoir de porter l’enfant, mais aussi de détenir la certitude d’en être la mère, ce qui n’est pas le cas de l’homme. Elle signe la différence de la femme par rapport à l’homme, les représentations qui lui sont propres et qui deviennent l’élément sur lequel elle fonde ses revendications, sa demande de reconnaissance, son droit et son amour. Il n’est pas étonnant dans ce cas que cette croyance suscite misogynie et railleries de la part de certains hommes.
Les mythes sont des éléments fondateurs dans les sociétés. Ils se mêlent aux légendes et aux faits historiques dans les récits populaires et se transmettent de génération en génération.
Lesiteinfo