La désertification frappe durement. Et lorsqu'il pleut, les quantités d’eau sont tellement importantes que les semences et les terres agricoles sont emportées par les eaux. (Photo Oxfam International)
Après la lutte contre le colonialisme, l’Afrique a été confrontée à une série d’interventions politiques, économiques et militaires de l’étranger. À cela vient s’ajouter le changement climatique. Pour bien des Africains, leur continent devient invivable, si bien que le quitter semble souvent une des seules possibilités de survie...
« L’Afrique nourrit l’Europe mais, d’ici peu, nous, nous n’aurons plus rien à manger. » Ces propos amers sont ceux d’un pêcheur de Mauritanie. Dans son pays, 80 % de la population doit recourir à la pêche pour survivre. L’Union européenne a conclu des accords de pêche avec bon nombre de pays côtiers de l’Afrique occidentale. En provenance surtout des Pays-Bas, de l’Espagne, de la France et de l’Italie, des navires industriels viennent y pêcher entre autres le maquereau et la sardine. Avec leurs techniques de pêche sophistiquées, ils vident littéralement les eaux africaines. Les petites entreprises familiales traditionnelles de Mauritanie ne peuvent rien faire contre cela et des milliers de gens perdent ainsi leur travail et leur nourriture.
Sur la Méditerranée, à bord des petites embarcations avec lesquelles les migrants africains tentent la traversée vers l’Europe, se trouvent des pêcheurs, mais aussi des agriculteurs qui ont été chassés de leur pays. Des hommes, des femmes et des enfants qui ne voient plus d’avenir dans leur pays natal. Ils fuient les conflits attisés par des interventions militaires occidentales, par des mouvements djihadistes extrémistes, par la crise du climat et par la faim. Les matières premières de leur pays sont pillées par des multinationales étrangères. Ils sont étranglés par une économie qui n’apporte aucun développement, mais qui s’engraisse sur le travail et la nature du Sud de la planète.
Des esclaves financiers
On dit que l’Afrique est le continent le plus riche au monde sous le niveau du sol, mais le plus pauvre au-dessus. Il existe de nombreuses richesses naturelles, mais les Africains n’ont pas le pouvoir d’en décider. Ce choix leur est imposé afin que, de la sorte, ils puissent rembourser leurs dettes à l’Occident. Du moins, c’est ce qu’on leur a promis.
L'Afrique, le continent le plus riche au monde sous le niveau du sol, mais le plus pauvre au-dessus. Il existe de nombreuses richesses naturelles, mais les Africains n'ont pas le pouvoir d'en décider.
À la fin des années 1970, de nombreux pays africains se sont retrouvés dans une crise d’endettement du fait que, directement après l’indépendance, leurs dirigeants s’étaient laissé séduire par de méga-projets inutiles et des prêts avec des pétrodollars bon marché. C’était une stratégie consciente de l’Occident afin de maintenir ces pays sous dépendance économique. Mais la crise profonde qui avait suivi avait mis les pays africains dans la quasi-impossibilité de rembourser ces prêts. Surtout au moment où les banques occidentales avaient encore fortement augmenté les taux d’intérêt sur les prêts consentis. On leur avait toutefois proposé une recette « miracle » afin d’assainir leurs finances : les Programmes d’ajustement structurel (PAS) du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale (BM). Il s’agissait en réalité de solutions ultralibérales : ouvrir les marchés aux investissements des entreprises transnationales, économiser sur les services publics, privatiser, etc.
L’un des principaux points de lutte de Thomas Sankara qui voulait l’indépendance politique de l’Afrique, le président du Burkina Faso assassiné en 1987, était de mettre sur pied un front commun africain contre le remboursement de cette dette : « Ceux qui nous prêtent de l’argent sont ceux qui nous ont colonisés dans le temps. Dans sa forme actuelle, les choses sont contrôlées par l’impérialisme et la dette est une reconquête subtilement gérée de l’Afrique, bâtie sur la soumission de notre croissance et de notre développement par le biais des règles étrangères. De la sorte, chacun d’entre nous se mue en un esclave financier. »
Aujourd’hui, l’Afrique subit toujours les conséquences de cette crise de l’endettement et le continent reste en grande partie dépendant des entreprises transnationales qui se livrent surtout à l’extraction des matières premières.
Faim insatiable de matières premières
L’Afrique détient une position clé dans le flux mondial des matières premières. L’extraction de l’or au Ghana, au Mali et en Tanzanie représente plus de 20 % de la production mondiale. L’exploitation de l’uranium en Namibie et au Niger, 18 %. La production de pétrole au Nigeria, en Angola, au Soudan, en Libye et en Algérie, 12 %. Et celle du cobalt au Congo, en Zambie, au Maroc, 60 %.
Depuis les années 1970, l’entreprise minière française Areva contrôle l’exploitation de l’uranium au Niger. L’État français détient 87 % des actions d’Areva. Depuis lors, le Niger est devenu l’un des plus grands producteurs d’uranium de la planète. La population ne profite pas de ce succès. Plus de 50 % des exportations au Niger servent à la très lucrative industrie nucléaire. Pourtant, les rentrées de la production d’uranium représentent à peine 5 % du produit intérieur brut du pays.
Cela vient surtout du fait que le « partenariat stratégique » entre la France et le Niger stipule qu’Areva ne paie pas toute une série de taxes, comme les frais de douane et d’exportation, les taxes sur le carburant et le matériel ou l’impôt sur le chiffre d’affaires. Quand l’État nigérien a voulu renégocier cet accord en 2014, Areva a décidé d’arrêter la production pendant quelques semaines. L’actuel président nigérien Mahamadou Issoufou a comparé cette façon de faire aux pratiques coloniales.
Photo pxhere.com
Le vol des terres
L’Afrique dispose d’une grande superficie de terres à bon marché. Les terres agricoles de l’Afrique occidentale sont très convoitées. Les gouvernements occidentaux s’inquiètent de la conservation du sol, de l’eau et des ressources naturelles sur leur propre territoire et ils cherchent le salut ailleurs.
Des communautés entières ont été spoliées de leurs terres pour faire place à des centrales hydroélectriques, des plantations agro-industrielles, etc. Au Sénégal, par exemple, on estime qu’en une décennie quelque 650 000 hectares ont été vendus ou loués à 17 entreprises privées nationales et étrangères. Cela équivaut à près d’un quart de la superficie de la Belgique ou à 16 % du total des terres cultivables du Sénégal. Les familles paysannes locales sont expropriées sans la moindre forme d’indemnisation et, outre leurs terres, elles perdent également leur seule source de revenu et de nourriture. Dans un continent où 70 % des habitants survivent grâce aux revenus de l’agriculture, l’impact de ce vol des terres est énorme.
Les producteurs laitiers en faillite
Déjà depuis le début des années 2000, l’Europe mène des négociations à propos d’accords de libre-échange avec des régions africaines. Entre temps, la plupart des pays ont approuvé des accords provisoires autour des mêmes conditions. Le Ghana et la Côte d’Ivoire ont accepté ces accords, sous la pression énorme de leurs entreprises de transformation du cacao et d’exportations fruitières (en grande partie européennes), qui les menaçaient de délocalisation s’ils ne signaient pas.
Le point central des accords, c’est que les économies locales s’ouvrent aux entreprises européennes et que les taxes existantes sur les importations de produits européens soient supprimées. De la sorte, les fragiles marchés intérieurs ne peuvent plus être protégés. Aujourd’hui, au Ghana, le lait en poudre européen importé via une sur-subsidiation de la part de l’Europe est deux à trois fois meilleur marché que le lait frais local. Les producteurs laitiers locaux font faillite massivement.
Les États-Unis disposent de 6.000 hommes en Afrique, principalement dans leur base militaire permanente à Djibouti, sur la côte est de l'Afrique. (Photo US Army Africa)
Interventions militaires et terrorisme
Les pays européens ont toujours considéré les anciennes colonies africaines comme leur propre terrain de chasse. Les premiers dirigeants anti-coloniaux africains ont été renversés ou assassinés.
Depuis des décennies, pour garantir ses intérêts stratégiques et économiques, la France possède des bases militaires dans trois pays africains et 3 500 soldats sont déployés sur tout le continent. Les États-Unis ont 6 000 hommes en Afrique, surtout dans leur base militaire de Djibouti, sur la côte orientale africaine. Leur mission consiste à endiguer le terrorisme djihadistes qui sévit dans la région et à soutenir la France dans cette tâche.
C’est passablement hypocrite, car c’est précisément via les interventions militaires nord-américaines et européennes que le terrorisme y a trouvé son terreau. En 2011, la France a encouragé une intervention de l’Otan en Libye. Le dirigeant libyen Kadhafi a beau avoir été éliminé, le pays est tombé dans le chaos le plus total. Plusieurs factions politiques et territoriales se battent pour imposer leur hégémonie. La situation des camps de réfugiés en Libye est horrible. Le trafic des esclaves y bat son plein. Dans la seule capitale Tripoli, pas moins de 150 milices différentes opèrent. Il s’agit de groupes rebelles entraînés par les États-Unis et qui agissent comme bon leur semble, armés surtout d’armes occidentales.
L’intervention de l’Otan a détruit toutes les structures étatiques et a laissé un vide derrière elle. Cela a constitué le creuset du terrorisme dans la région. Dans le nord-est du Nigeria, des millions de personnes fuient le mouvement terroriste de Boko Haram. Elles se retrouvent dans des camps de réfugiés dans les pays voisins où des trafiquants d’êtres humains sont actifs pour les attirer vers l’Europe. Le Nigeria figure dans le top-3 de la liste de l’ONU des situations alimentaires les plus critiques dans le monde. Entre-temps, Boko Haram a étendu sa zone d’opération au Tchad, au Niger et au Cameroun.
Crise du climat et pénurie d’eau
L’Afrique est touchée aussi par la crise climatique mondiale. La désertification du fait des températures élevées et du manque de précipitations y sévit gravement. Depuis très longtemps, la population doit se rabattre sur des réserves en eau jusqu’à la venue de la saison des pluies. Mais, ces dernières années, la pluie vient trop tard et cesse trop tôt. Et, quand il pleut, il tombe de telles quantités d’eau qu’elles emportent les semences et les terres cultivables. Des prévisions disent qu’en 2050, la température aura encore augmenté de 3 à 5 degrés et que les chutes de pluie vont se déplacer de plus en plus vers le sud. L’artère vitale de toute une région, le fleuve Niger, est en train de s’assécher. Quelque 110 millions de personnes tentent de subvenir à leur existence grâce aux seuls revenus des terres agricoles avoisinant le fleuve.
Le lac Tchad, qui est d’une importance vitale pour l’approvisionnement en eau du Cameroun, du Tchad, du Niger et du Nigeria, a perdu plus de 90 % de sa superficie depuis 1963.
La région vit donc dans une crise humanitaire, climatologique et politico-militaire permanente.
Puis il y a encore la croissance démographique africaine, que le système capitaliste et néocolonial met sous pression. En 2050, la population africaine aura doublé, pour passer à 2,4 milliards de personnes. Durant la même période, la population européenne qui, en 1900, était encore trois fois plus importante que celle de l’Afrique, aura baissé, passant de 740 millions d’habitants aujourd’hui à 734 millions en 2050.
Il y a bel et bien un responsable
Les migrants africains qui débarquent en Belgique se font régulièrement expulser par notre gouvernement.
Nos décideurs politiques entendent se débarrasser de toute responsabilité.
Mais si, il y a bel et bien un responsable. Qui a signé ces accords de libre-échange avec les pays ouest-africains ? Qui, via ces mêmes accords, a ouvert leurs économies aux produits européens bon marché ? Qui pille l’Afrique ? D’où vient cette présence militaire qui sert à garantir les intérêts stratégiques et économiques dans la région ? L’impérialisme. Nous pouvons continuer à construire des camps aux frontières de la « forteresse Europe », militariser de plus en plus nos frontières et combattre les jungles urbaines de façon répressive, mais les migrants africains continueront à affluer tant que l’impérialisme occidental continuera à parasiter leurs régions d’origine. Les solutions de droite ne sont pas seulement inhumaines mais aussi irréalistes tant que l’on n’abordera pas les causes et qu’on ne remettra pas en question le système néocolonial et impérialiste.
La lutte contre les causes fondamentales de la misère en Afrique est une lutte commune des peuples européens et africains contre l’impérialisme.
Isabelle Vanbrabant
Le magazine Solidaire de novembre - décembre 2018.