En 2021, ces canards élevés en plein air ont été chargés dans le camion des services vétérinaires, puis abattus. - © Alain Pitton / Reporterre
Depuis plus d’un an, la grippe aviaire décime les élevages et les oiseaux européens. Les experts craignent qu’une série de mutations déclenche une pandémie chez l’humain.
L’épidémie de grippe aviaire progresse. Depuis un an, les annonces de foyers d’infection pleuvent. Les élevages français, anglais, hongrois sont décimés. Les oiseaux sauvages aussi. Les autorités sanitaires procèdent à des abattages massifs d’élevages infectés, en vain. Alors que l’épidémie persiste, l’humain est-il le prochain sur la liste ? Cette éventualité est crainte par les experts et les autorités sanitaires : plus la circulation du virus est intense, plus le risque de mutations augmente. Et il ne manque qu’une courte — mais significative — série de mutations pour mettre le feu aux poudres.
En décembre, l’Équateur a annoncé l’apparition d’un premier foyer sur ses terres. Un mois plus tard, le ministère de la Santé équatorien a fait état d’un cas de contamination humaine. Une fillette de neuf ans a développé les symptômes de la maladie dans la province de Bolivar, au cœur des Andes. La situation n’est pas nouvelle : en 2021 et 2022, au moins quatre autres cas ont été recensés au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Espagne.
Depuis 2003, près de 865 humains ont été contaminés par la grippe aviaire, dans vingt-et-un pays (Afrique et Asie principalement), rapporte le Guardian. Et le virus, apparu en 1997 dans les élevages de volailles de Hong Kong en Chine, semble violent sur l’humain : 456 en sont morts. Aucune transmission entre humains n’a toutefois été signalée : toutes les personnes contaminées vivaient en grande proximité avec des élevages de volailles malades, et ont été directement infectées par l’animal.
Une série de mutations nécessaires
La situation pourrait évoluer. Les experts craignent que les vagues record de grippe aviaire — et notamment la multiplication du virus au sein des élevages et sa propagation à d’autres espèces — ne favorisent l’apparition d’une forme à la fois pathogène pour l’humain, mais aussi adaptée à la transmission interhumaine. « Si cette transmission apparaissait, la situation deviendrait dramatique », explique Muriel Vayssier-Taussat, directrice du département de santé animale, à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). Sur la dernière période septembre-décembre, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) a enregistré une hausse des élevages contaminés de 35 % par rapport à l’année dernière.
Pour le moment, aucune transmission de la grippe aviaire entre humains n’a été signalée. Pixabay/CC/Ehrecke
De fait, le virus de la grippe aviaire a déjà infecté au moins soixante-trois autres espèces, dont les lynx, les phoques ou les ours, ajoute le Guardian. Et la proximité entre certains types d’élevages pourrait accélérer les choses. « Le virus de la grippe porcine peut comme celui de la grippe aviaire se transmettre accidentellement à l’humain, explique la chercheuse. La proximité entre les élevages de porcs et de volailles et la rencontre de ces deux virus pourraient favoriser l’émergence de nouveaux virus. Ceux-ci pourraient infecter l’humain de manière encore plus efficace et provoquer des épidémies. »
Les autorités se préparent
Cela reste encore à l’état de scénario. Le virus est généralement considéré comme à bas risque pour l’humain, estime François Moutou, vétérinaire et épidémiologiste, spécialiste de la maladie : « Les différents types de grippe aviaire [H5, H7 et H9, l’actuelle étant H5N1] ne provoquent pas d’épidémie chez les humains. Des cas existent [à la suite d’une mutation ou une faiblesse d’un patient], mais globalement ces virus ne parviennent pas à se fixer sur l’arbre respiratoire humain, ce qui nous permet d’échapper à ces types de virus. » Mais plus on augmente les possibilités de multiplications virales, plus on augmente les possibilités de variations dans le virus et de contacts avec les humains.
Les autorités en sont conscientes. L’Organisation mondiale de la santé prévient ainsi que « la diversité des virus grippaux aviaires et des autres virus grippaux zoonotiques qui ont provoqué des infections chez l’homme est inquiétante et il faut renforcer la surveillance des populations animales et humaines, étudier de près chaque cas d’infection chez l’homme et établir une planification sur la base du risque de pandémie ».
La grippe aviaire est « un bon candidat pour la prochaine pandémie »
En octobre dernier, Santé publique France a revu « la conduite à tenir pour la surveillance et l’investigation des cas de grippe humaine due à un virus influenza d’origine aviaire ». Ainsi, en cas de suspicion, les autorités sanitaires procéderont au test, et en cas de positivité, à l’examen des cas contacts ainsi qu’aux personnes exposées au même foyer. L’objectif : identifier les personnes infectées, mais aussi l’apparition potentielle d’une transmission interhumaine.
Pour l’heure, aucun Français n’a été touché et la surveillance s’opère au niveau des élevages infectés. Les autorités procèdent au séquençage des souches de grippe aviaire pour vérifier qu’elles n’ont pas muté. Tant que le virus circulera, le risque perdurera. Pour Muriel Vayssier-Taussat, la grippe aviaire est « un bon candidat pour la prochaine pandémie ». Pour elle, il est important de « limiter la circulation du virus », pour faire diminuer le risque d’apparition d’une mutation délétère. Elle mise notamment sur la vaccination. Mais attention, celle-ci pourrait ne pas être acceptée par les partenaires commerciaux, avertit François Moutou. Il estime que nous sommes arrivés au bout du modèle intensif. « Cette année 2022 doit pousser les éleveurs et l’administration à réfléchir à de nouvelles solutions. »
Dans un avis rendu en juin, l’Anses recommande de diminuer drastiquement la densité des élevages de palmipèdes pour réduire l’intensité de l’épidémie. Elle recommande également de réduire la densité des élevages à l’échelle régionale, en plus des mesures de biocontrôle. Dans tous les cas, « aucune mesure ne suffira à elle seule, elles sont à combiner », ajoute François Moutou.