
En s’attaquant à des expatriés àOuagadougou, capitale du Burkina Faso, considéré comme le pays«sanctuaire du Sahel», Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), qui a revendiqué l’attaque qui a fait 29 morts dont deux Valaisans, a fait la démonstration sanglante de sa force de frappe.
Déjouant le déploiement militaire important de l’opération Barkhane de l’armée française avec les troupes des pays du G5 du Sahel (Mauritanie, Mali, Niger, Tchad et Burkina Faso), le groupe de Mokhtar Belmokhtar, Al-Mourabitoune, a renouvelé l’attaque commando du Radisson Blu de Bamako au Mali (22 morts).
Lémine Ould M. Salem, correspondant au Sahel de La Tribune de Genève, est l’un des rares journalistes à avoir été en contact avec des combattants et des chefs djihadistes de la région. Il a réalisé un film intitulé Salafistes (sortie le 27 janvier) qui tente de comprendre la motivation de ce courant de l’islam fondamentaliste dont une branche est djihadiste. Entretien.
Al-Qaida au Maghreb islamique a revendiqué l’attaque de Ouagadougou, menée par le groupe de Mokhtar Belmokhtar. Il est désormais le chef d’AQMI?
Depuis la mort d’Abou Zeid et l’opération Serval de l’armée française au Mali, c’est effectivement lui le chef d’AQMI. Ce sont des «retrouvailles», car il avait quitté AQMI en 2012, même si les liens n’étaient pas tout à fait rompus. Abou Zeida fait l’erreur de combattre frontalement l’armée française au Mali. Il a été tué, plusieurs de ses lieutenants aussi et ses troupes ont été décimées. Belmokhtar, lui, s’est terré en Libye pendant ce temps. L’Algérien contestait à Abou Zeid le leadership d’AQMI, s’estimant le plus ancien combattant du djihad au Sahel. D’une certaine manière, les opérations Serval et Barkhane ont accéléré les choses. Le ralliement d’Al-Mourabitoune s’est fait en décembre.
Cette action s’inscrit-elle dans une course d’influence avec le groupe Etat islamique?
Oui. AQMI est installé depuis longtemps dans la région. Mais il a été ringardisé par Daech, qui s’est implanté en Libye et a rallié Boko Haram au Nigeria, qui était en contact avec AQMI auparavant. Le ralliement de chefs shebabs somaliens à Daech, dont certains ont été exécutés par AQMI, a aussi tendu la situation. Cela a aussi poussé Al-Qaida à moderniser sa communication (avec des vidéos moins rudimentaires) et à multiplier les actions pour recruter des candidats. Des affrontements ont lieu régulièrement en Libye avec des filiales locales de Daech. Le groupe Etat islamique a de son côté mis à prix la tête de Belmokhtar. Dans le communiqué d’AQMI suite à l’attaque de Ouagadougou, il y a une allusion sur ce conflit djihadiste. Le texte cite al-Nosra en Syrie, comme le groupe des «gens de la Sunna», les orthodoxes, sous-entendant que Daech ne l’est pas.
Que représentent les Occidentaux pour ces djihadistes qui sont interrogés dans «Salafistes»?
Pour eux, tous les malheurs des musulmans viennent des Occidentaux depuis la guerre d’Irak. C’est l’ennemi principal. Dans les communiqués d’AQMI, le pillage des richesses de ces pays par les Occidentaux, leur soutien aux dictatures hostiles à l’islamisme ou leur présence militaire en terre d’islam sont souvent dénoncés. Dans la tête d’un djihadiste, l’islam – dernière religion révélée dans une lecture littérale du Coran – et la charia – la loi de Dieu sur terre – doivent s’imposer à tous.
Doit-on s’attendre à d’autres attaques? Belmokhtar en a-t-il les moyens?
En vingt ans de présence au Sahel, Belmokhtar a eu le temps de recruter, notamment lors de son occupation de territoires au nord du Mali. Depuis le sud de la Libye en décomposition où il se cache, il dispose à mon avis de plusieurs centaines d’hommes qui sont capables de se fondre dans la population, pour préparer et mener des actions terroristes. A Bamako, les assaillants étaient tous Noirs. A Ouagadougou, il y avait un Arabe, un Peul et un Touareg noir, un échantillon représentatif de ses combattants.
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«A qui le tour?»
«Ce n’est pas le Burkina Faso seul qui a été frappé. C’est toute une sous-région.»Le président béninois Thomas Boni Yayi s’est rendu lundi à Ouagadougou pour témoigner de la solidarité des pays de l’Afrique de l’Ouest après l’attaque meurtrière du week-end. Il a promis une riposte régionale aux violences des djihadistes. «Nous n’allons pas rester les bras croisés. Nous allons réagir et riposter. La question aujourd’hui est: à qui le tour?» a-t-il déclaré au nom de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) à son arrivée à Ouagadougou. Après les événements de Bamako et ceux du Burkina Faso, tout le monde a pris conscience de la nécessité d’agir. «Ce que nous avons déjà fait ne suffit plus parce que l’ennemi est en train de changer de stratégie», a-t-il analysé. (24 heures)
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