Les moutons invendus inondent Dakar : des éleveurs accusent la ministre

Au lendemain de la tabaski, des éleveurs venus du nord du  pays, sont dans le désarroi. Et pour cause, des centaines de moutons qu’ils ont amenés écouler dans la capitale, en engageant des centaines de milliers de francs de frais, n’ont pas trouvé preneurs. Entre repartir avec ce nombre importants  d’invendus  ou bradages leur marchandise ?  Les options sont divergentes. Pour les éleveurs, c’est  l’importation massive des moutons du Mali et de la Mauritanie qui a compromis  leurs business  cette année. Reportage sous l’échangeur des Parcelles Assainies.

Nous sommes jeudi 23  août, le lendemain de la Tabaski. Il est 13 heures passées. Ici, dans le quartier des Parcelles Assainies, tout est clame, le temps est clément et les rues clairsemées. Un calme qui contraste avec  le brouhaha de l’ambiance ordinaire de ce quartier. Ainsi se présente la suite de la Tabaski.

Et c’est dans cette ambiance de morosité et de vacuité que nous allons à la rencontre de ces bergers Peulhs. Venus du nord et du nord-est du pays, ils y ont pris leur quartier depuis quelques jours sous le nouveau pont en construction (prolongement de la VDN) et  ont installé leurs moutons.

Le site est plus que stratégique en termes d’exposition  puisque ce 3è échangeur -prolongement de la voie de dégagement nord, enjambe les quartiers Nord Foire et l’Unité 26 des Parcelles Assainies, compte non tenu du célèbre rond-point. Théoriquement les affaires auraient pu bien marcher. Mais il n’en a rien été.

En effet, mais malgré cette position géographique favorable,  à l’heure des comptes, les bergers font tous une tête d’enterrement. Ça ne rigole pas ou à défaut on rit jeune, ici sous  cette infrastructure en phase terminale de  construction.

Venus avec des centaines de têtes de moutons, les attentes n’ont pas été comblées en  termes de vente.  Les espoirs ont été déçus. Beaucoup de moutons n’ont pas pu être vendus.  C’est le cas de Saliou Dia qui est venu de Linguère.  Sur les  quelques 300 têtes n’a réussi à écouler qu’une centaine. Chétif et de petite taille, vêtu d’un grand boubou, l’homme qui ne parle que peul, ne cache pas sa déception. Et accuse tout de go l’Etat d’avoir créé cette situation aux éleveurs sénégalais. Pour lui, c’est clair que l’importation massive de moutons des pays voisins comme le Mali et la Mauritanie qui est la principale cause de cette mévente.

Debout à côté de ses centaines de moutons invendus, ceux-ci sont presque tous maigres et sont loin d’être attractifs en termes de propreté. Ne sachant pas où donner de la tête, Saliou a commencé le bradage de ces bêtes. Pour un bélier vendu 70.000F ou 75.000 F avant la fête, aujourd’hui,  le berger de Linguère est prêt à  le céder  à 40.000F. Mais même avec ces prix cassés, il n’a pas grand espoir de vendre toutes ses bêtes.

Une chose qu’on peut noter  c’est que ses moutons, chétifs et peu propre, sont loin d’être le nec plus ultra parmi les invendus de cette tabaski 2018. Mais est-ce que cela a pu jouer dans le  choix des acheteurs ?  Difficile de trancher. Pour sûr, à côté de  ces centaines d’invendus,  d’autres bergers ont des moutons plus ou moins propres aussi  invendus.

Assis sur une natte avec son clan, Ousmane Arouna Ba, lui fait apparemment le point des recettes avec les siens. On les voit des billets de 10.000 Fa en mains mais avec une mine de cimetière. Venu de Matam avec environ 320 bêtes, il  n’a pas réussi à écouler la moitié. A la question de savoir que va-t-il faire avec le reste des moutons, s’il va  baisser les prix, c’est son voisin  qui arrache la parole de manière inopinée pour soutenir mordicus qu’il est hors de question de baisser les prix des moutons. Il vaut mieux encore les jeter dans la mer, insiste-t-il.

Reprenant la parole, Ousmane est allé dans le même sens expliquant clairement qu’il n’est pas prêt à brader  ses animaux.  Habillé d’un cafetan bleu ciel, Ousmane dit avoir acquis les moutons entre 70.000F et 80.000F pièce. Partant,  il  est insensé qu’il puisse les revendre à 50.000F ou 60. 000F. Ce serait une grosse perte. Le berger peulh est prêt à repartir avec ses moutons dans son Matam natal. Déjà, rien qu’en transport, Ousmane Arouna et les siens ont casqué jusqu’à 450.000F pour convoyer leurs moutons à Dakar. A cela, il faut ajouter les frais engagés sur place à Dakar en termes d’achat d’eau,  d’alimentation pour le bétail, etc.

Le cinquantenaire est prêt à ramener ses bêtes au bercail. Sauf que dans l’immédiat, cela reste une équation insoluble. Et pour cause, faute de pluies dans sa région de Matam, il n’y a pas d’herbes et donc il aura du mal à nourrir son troupeau. Pour cela, il  fait l’option de passer encore un peu du temps à Dakar, acheter l’aliment et nourrir les bêtes un moment, espérant pouvoir écouler quelques-unes avant de rentrer.

Sur un autre plan, le berger peulh qui parle laborieusement wolof, a insisté sur la nécessité pour  l’Etat  d’aider les éleveurs sur le plan sécuritaire. Parce que les voleurs de moutons leur tournent autour et les agressent afin de s’échapper avec quelques bêtes.  D’ailleurs Ousmane et ses camarades étaient précédemment établis près du stade de l’Amitié. Ce sont ces voleurs qui les ont contraints à venir ici sous le pont, où c’est plus exposé. Depuis qu’ils se sont installés aucun policier n’a pointé le nez, se plaint-il.

60.000 moutons invendus sur l’ensemble du territoire

Mais en vérité, cette  mévente ne concerne pas les bergers qui campaient sous le long échangeur des Parcelles Assainies. C’est un phénomène systémique à l’échelle nationale. Dans l’ensemble du pays, ce  sont quelques 50.000 à 60. 000 moutons qui n’ont pas pu être vendus,  selon Dame Sow, le directeur de l’élevage sur les ondes de la radio Futur Médias (RFM). Un tableau qui fait dire au patron de l’élevage que « nous sommes dans la situation de 2014 et 2015».

«Nous avons recensé un reliquat de 34 000 moutons entre le stade Léopold Sedar Senghor, les deux voies de Liberté 6, le foirail de la banlieue et le Seras, souligne-t-il au micro de la Rfm. A l’intérieur du pays, nous avons enregistré  beaucoup de tensions dans les régions du Sine. À Ziguinchor ville, nous avons comptabilisé  plus de 2239 moutons qui sont restés entre les mains des éleveurs. Même chose à Thiès où il a été enregistré plus 9435 moutons invendus», a soutenu le directeur de l’élevage.

Pour rappel, afin d’assurer  la disponibilité des moutons aux Sénégalais, le ministre de Elevage Aminata Mbengue Ndiaye s’est déplacée même dans les pays voisins pour discuter avec des éleveurs de ces pays afin qu’ils puissent fournir le Sénégal, en plus de ce qui est produit par les éleveurs sénégalais. Mais  est-ce que ceci est à l’origine de la mévente comme le prétendent les éleveurs? Difficile pour le moment de le confirmer.

Par Noël SAMBOU

senenews.com

ven, 24/08/2018 - 17:00

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